Article

« Nous essayons de casser les codes »

L’agence de recrutement Aquent est spécialisée dans les métiers du digital, du marketing, de la communication et de la création. Échange avec Charlotte Vitoux, sa directrice générale France, autour de leur fonctionnement, des attentes des recruteurs et des nouvelles générations de candidats.

Publié le  24/05/2018

vitoux_art_org.jpg

 

De nombreuses études montrent que le CV est de moins en moins important dans le recrutement, constatez-vous également ce phénomène ?

Oui, aujourd’hui, c’est surtout le mail d’accroche, la façon de solliciter un rendez-vous, qui va être intéressant. Le CV existe toujours, mais un profil LinkedIn est obligatoire. Parfois, un profil à jour suffit amplement. Il arrive que nous n’envoyions pas de CV à nos clients. Nous envoyons juste l’explication du profil que nous avons rencontré : background, expertise, dernier projet emblématique, fourchette de rémunération, dates de disponibilité, mise à jour avec des projets, des KPI’s...

 

Quelles sont les nouvelles attentes des recruteurs ?

Une accroche qui fasse la différence. Une façon d’envoyer un mail ou d’appeler. Ce qui compte, ça va être la ténacité et une approche professionnelle, mais sympathique. Une démarche professionnelle, mais créative.

 

L’idée est de mettre les gens dans un contexte qui est sain et positif, propre à un échange authentique et plus simple.


Les compétences de vos candidats restent bien sûr ce qui est recherché par vos clients. Comment les repérez-vous dans le processus de sélection ?

Une façon de les jauger est tout simplement de demander une explication sur les deux derniers projets. Vous voyez quelles sont les compétences mises en place, comment la personne parle du projet, si elle prend un angle humain, financier, « ROIste » ou très autocentré, si elle met en valeur le succès ou au contraire les échecs qui lui ont permis d’apprendre autre chose, si elle met en avant la durée du projet, sa difficulté, le challenge qu’elle a dû relever… Ce sur quoi nous nous basons pour appréhender les compétences est concret. Nous sommes pragmatiques. Nous nous posons la question : qu’est-ce que cette personne est capable de délivrer demain ?

 

Les savoir-être ont pris une place importante dans le recrutement, comment embrassez-vous cette évolution ?

Nous avons de la chance. Nous évoluons dans un secteur où l’humain et l’émotion, les expériences humaines, ont une dominante forte, parce que le marketing et la communication ont pour objectif de provoquer des émotions afin de déclencher des achats et d’offrir une belle expérience client. Nous acceptons donc que les personnes qui vont phosphorer sur toutes ces stratégies et tous ces projets soient eux aussi des êtres humains avec des émotions. Cela peut se voir dès le début du processus, sur la façon dont le mail est envoyé, l’heure d’envoi, le ton utilisé, est-ce que la personne relance par téléphone, par sms, quelle est son attitude quand elle attend sur le canapé et tout au long du processus de recrutement. Nous essayons de casser les codes, casser les règles de « comédie » de l’entretien parce que tout cela n’est qu’un jeu de rôle. Le candidat pense que son interlocuteur attend une certaine posture, certaines réponses. Il s’attend toujours à des questions du style : « racontez moi votre parcours » ou « quelles sont vos qualités, quelles sont vos défauts ». Vous ne pouvez pas jauger – je ne dis pas juger –, de la qualité d’un profil, en tous les cas des soft skills d’une personne, si vous la mettez sur des rails. Il ne s’agit pas de casser ces règles pour déstabiliser. L’idée est de mettre les gens dans un contexte qui est sain et positif, propre à un échange authentique et plus simple.

 

Comment faites-vous pour casser ces codes ?

Nous pouvons faire passer des entretiens dans des cafés, par exemple, tant que le lieu n’est pas trop sonore et un peu en retrait. Nous pouvons également recevoir dans nos bureaux, où il n’y a pas d’espaces fermés sauf les salles d’entretien. Nous ouvrons notre univers au candidat. Il voit comment nous pouvons travailler en open space, sur le comptoir de notre bar, comment nous pouvons nous parler librement, cela le met dans un climat de confiance. Il nous voit in situ et peut se rendre compte que nous sommes des recruteurs humains. Après, lors de l’entretien, nous ne sommes pas en face à face avec le candidat, mais plutôt côte à côte pour éviter d’avoir un échange avec une table qui nous sépare, de générer quelque chose d’un peu froid. Et puis, tout en restant dans un cadre légal, nous posons des questions sur les passions des gens, sur leurs échecs, sur leurs rêves, sur les deux ou trois éléments clés de leur prochaine aventure professionnelle. Les bacs L ou S, je m’en moque ! Nous le voyons sur le CV. Nous sommes vraiment dans un échange qui va nous permettre de sortir ce qu’il y a de plus émouvant, avec une aspérité, qui fera qu’il y aura un critère de différenciation. Quelqu’un qui comme moi est passionné d’alpinisme en parle pendant des heures, nous pouvons en déduire des choses : il est tenace, il a un esprit d’équipe, il est ambitieux et en même temps il est humble… Ce qui va être intéressant est de voir comment le talent qui se trouve face à nous va évoluer à l’instant T et surtout dans l’avenir.

 

Les nouvelles générations ont des aspirations assez différentes des précédentes, le CDI n’est plus un graal. Constatez-vous cette évolution et comment gérez-vous ce nouveau paradigme ?

Oui, c’est effectivement une constatation que nous faisons également sur les millenials. Les aspirations ne sont plus du tout les mêmes : en termes de lieu de travail, de façon de travailler, plus flexibles ou plus agiles, moins normées, où ce qui prime est avant tout l’intérêt de la mission, l’esprit d’équipe, l’apprentissage… Une chose importante tient dans le fait que les projets aient du sens. Nous constatons également que les générations précédentes sont un peu envieuses, car elles n’ont pas osé dire les choses de la même façon que les millenials. Il y a du respect, il y a un langage qui n’est pas commun, mais il y a un intérêt commun, et une envie commune de livrer un projet, d’avancer… Les façons de faire ne sont pas les mêmes mais, in fine, ils se retrouvent sur une envie de bien réussir le projet ensemble.

 

Tenez-vous un discours particulier aux candidats millenials ou aux recruteurs qui les rencontrent ?

Nous sommes transparents quitte à être parfois rudes avec les candidats ou les clients. Nous disons aux candidats : vous allez rencontrer quelqu’un qui n’est pas de la même génération. En tant que millenials, vous devez être pédagogue, lui expliquer la façon dont vous allez travailler et aimez travailler. Et à l’inverse, pour les générations « du dessus », nous essayons de les réunir avec de la pédagogie et de la transparence en expliquant comment est le candidat. Mais il ne faut pas dramatiser : les millenials affirment parfois, mais une fois qu’ils sont embarqués dans un projet, les choses changent.

 

Et pour vos clients ?

Nous conseillons les clients dans la façon de mener les entretiens. Nous leur expliquons que le rapport a changé et qu’eux aussi passent un entretien. L’idée est surtout d’expliquer qu’il ne va pas falloir faire passer un entretien de la façon dont ils ont pu le faire pendant des années. Des questions vont leur être posées, et c’est tout à fait normal. Il ne faut pas qu’ils hésitent à montrer les locaux, à présenter l’équipe, à faire participer d’autres collèguess même si ces derniers ne sont pas les managers de la personne qui sera recrutée… Le sens passe aussi par une explication assez claire sur l’équipe, le projet, le budget, est-ce un poste en remplacement, est-ce quelqu’un qui a été licencié… Même si la vérité n’est pas toujours attractive, c’est le monde du travail. Les millenials ont besoin d’honnêteté.

 

Vous avez mené une étude sur les métiers du digital en partenariat avec l’EBG et Stratégies, qu’avez-vous appris ?

Je ne peux pas vous révéler les conclusions pour le moment mais, sans donner de chiffres, ce qui est intéressant est qu’elle confirme que les soft skills deviennent prédominantes par rapport aux hard skills dans le choix d’un candidat. Mais nous sommes sur des métiers de l’e-marketing donc digital à 100% et déjà en train de changer de code.

 

Et quelles sont les soft skills mises en avant ?

La capacité à travailler en équipe, l’envie d’apprendre et la curiosité.

 

Avez-vous constaté des évolutions notables dans vos métiers, votre secteur, ces dernières années ?

Le contrat temporaire (interim, freelance, CDD) est de plus en plus valorisé. Avant, il y avait beaucoup de créatifs, plutôt sur des profils expérimentés (huit à dix ans d’expérience), des directeurs artistiques, des concepteurs rédacteurs, des directeurs de création, des consultants… Le phénomène était surtout circonscrit aux agences de communication. Aujourd’hui, pour des profils sortis d’école, deux ans, trois ans, cinq ans d’expérience, le contrat temporaire est extrêmement valorisé. C’est justement cette génération de millenials qui s’y intéresse. Ils vont être en mode mission, un peu commando. Ce sont des missions longues : six mois, neuf mois, douze mois. Cela rejoint ce que nous nous disions : le CDI n’est plus un graal, sauf si l’on veut acheter ou louer un appartement…

Sur des contrats temporaires, vous êtes recrutés pour votre capacité à être quasi immédiatement opérationnel. Cela est valorisant pour le talent qui est donc toujours en action et « utile ».

 

Aquent France

Plus d'actualités

Article

Besoins en main-d’œuvre des entreprises : France [...]

Chaque année, France Travail apporte un éclairage concret sur les dynamiques en matière de recrutement au travers de son enquête sur les « Besoins en main-d’œuvre » (BMO). Véritable outil d’aide à la décision, BMO fournit des indications stratégiques sur les attentes des recruteurs, leurs difficultés, et l’état des intentions de recrutement secteur par secteur. Tour d’horizon des grands enjeux qui se dessinent pour 2024.

Infographie

2,8 millions de projets de recrutement en 2024

L’enquête sur les « Besoins en Main-d’Oeuvre des entreprises » pour l’année 2024 montre que les intentions de recrutement des employeurs diminuent par rapport à 2023. Retrouvez dans l’infographie les résultats-clé révélés de nouvelle enquête.

Article

L’aidance, enjeu majeur du monde du travail

La France compte entre 8 et 11 millions de proches aidants non-professionnels, dont 61 % sont en activité . Conséquence directe du vieillissement de la population, ceux que l’on appelle les « salariés aidants » représentent ainsi une part grandissante de la masse salariale. D’ici à 2030, un salarié sur quatre sera proche aidant. État des lieux avec Nathalie Chusseau, économiste et professeure à l’Université de Lille.

Ailleurs sur le site

CHIFFRE-CLÉ

86,0 %

Des entreprises satisfaites concernant la pertinence des candidats présélectionnés par France Travail. Mesure de la qualité du service rendu aux entreprises sur le volet recrutement au niveau national.

L’état de l’emploi dans votre ville

Retrouvez les chiffres du marché du travail dans votre commune de plus de 5000 habitants.

Ex : 33000

Ensemble pour l'emploi

Retrouvez tous les chiffres permettant d'évaluer l'efficacité de notre action auprès des demandeurs d'emploi et des entreprises.