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Jeunes diplômés de grandes écoles : de nouvelles attentes

De nombreux jeunes diplômés de grandes écoles remettent en question les carrières qui leur étaient promises. Quel impact sur les entreprises et que peuvent-elles faire ?

Publié le  27/10/2022

Des cérémonies chahutées

AgroParisTech, HEC, Polytechnique, Sciences Po... Un vent de révolte a soufflé, au printemps dernier, lors des cérémonies de remises de diplômes des grandes écoles. Des étudiants tout juste diplômés ou des anciens élèves ont pris la parole dans des discours chocs, remettant en cause à la fois le contenu de leur formation et les carrières qui leur étaient destinées. 

Avec toutefois, des nuances, selon les écoles. Ainsi, quand les jeunes ingénieurs d’AgroParisTech dénoncent « une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours » et appellent littéralement à déserter leur milieu professionnel, les étudiants d’HEC préfèrent, quant à eux, changer les choses de l’intérieur : « HEC nous ouvre beaucoup de portes. C’est notre responsabilité d’utiliser ces portes ouvertes pour changer les règles », tout en sachant « dire non à une banque qui propose un salaire démentiel, mais dont les projets vont à l’encontre de nos convictions ». 

À Polytechnique, les étudiants ont déclaré, entre autres, avoir été « bombardés de conférences menées par des représentants de cabinets de conseil, tout en vantant le service de l’État ». Pour les étudiants de Sciences Po, c’est un appel à « sortir du déni » : « Alors que nous devons changer radicalement de système politique, économique et culturel, nos formations aussi doivent s’adapter, au risque de contribuer elles-mêmes au problème. »


 

Des discours et des actes

Ces différents discours de rupture ont tous la même toile de fond : une prise de conscience et des attentes très fortes autour des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Une prise de distance avec le contenu de leur formation, qui, selon eux ne serait pas à la hauteur de ces enjeux. Le refus de s’engager dans un métier ou une carrière qu’ils considèrent nuisibles pour la planète.

Bien que le phénomène ait pris de l’ampleur au printemps dernier, il n’est pas tout à fait nouveau. En effet, en 2018 déjà, un étudiant diplômé de Centrale Nantes avait déclaré, lors de son discours, ne pas se « reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation ». Dans la foulée, un manifeste « Pour un réveil écologique » était signé par plus de 30 000 étudiants issus de grandes écoles, exprimant leur détermination à choisir des métiers en phase avec leurs préoccupations sociales et environnementales.

Quand elle se traduit en acte, leur révolte s’exprime de différentes façons. Les plus engagés, une frange minoritaire, font le choix radical de changer de vie et de renoncer au destin qui leur était promis. Un documentaire, Ruptures, réalisé par un ancien étudiant de Centrale Nantes, suit le parcours de certains d’entre eux, qui ont choisi de vivre en adéquation avec leurs convictions, quoi qu’il leur en coûte.

 


 

Réformer de l’intérieur

Puis, il y a ceux qui appellent à changer le système de l’intérieur. C’est le sens du manifeste « Pour un réveil écologique », devenu depuis un collectif réunissant étudiants et jeunes diplômés de grandes écoles. Plutôt que de sortir du système, « nous aimerions faire une révolution de l’intérieur. Nous sommes les futurs employés des entreprises, des grands groupes mondiaux, c’est à nous de changer leur fonctionnement », explique une étudiante de HEC, membre du collectif. Ils agissent sur deux piliers : l’enseignement supérieur et les entreprises, en interpellant directement leurs représentants.

Le collectif a envoyé un questionnaire à une centaine de PDG de grandes entreprises pour obtenir des informations précises sur leur prise en compte des enjeux environnementaux. Les réponses sont consultables sur le site du collectif, accompagnées d’un guide anti-greenwashing pour les analyser. En parallèle, il a créé le Grand Baromètre de la Transition écologique, une enquête nationale sur la prise en compte de l'écologie dans l'enseignement supérieur. Son objectif est d’accélérer les transformations en incitant les établissements à se poser les bonnes questions en la matière.

D’autres, comme les étudiants des Écoles normales supérieures (ENS) sont partis du postulat suivant : « Que restera-t-il du vivant à étudier si nous n'avons rien fait pour l'empêcher de s'effondrer ? », ces futurs chercheurs ont constitué un collectif, nommé « Efficiences », afin de proposer de nouvelles méthodologies de recherche adaptées aux enjeux sociaux et environnementaux.


 

69 % des jeunes de 18 à 30 ans seraient prêts à changer d’emploi pour un travail écologiquement utile.


Un emploi porteur de sens

Ce phénomène était déjà visible dans les réponses du dernier baromètre « Talents, ce qu'ils attendent de leur emploi » réalisé en mars 2021*. D’après l’enquête, les trois principaux critères des étudiants et Alumni pour choisir leur premier emploi sont : l’intérêt du poste, le bien-être au travail et avoir un travail en phase avec ses valeurs. La rémunération n’arrive qu’en onzième position. 60 % des talents sont prêts à prendre un poste plus précaire pour un emploi porteur de sens, quitte à faire des concessions et ils sont prêts à baisser leur salaire de 12 % en moyenne.

Toutefois, même s’ils jugent les grandes entreprises comme étant peu engagées en matière de RSE, 86 % des sondés estiment qu’elles sont les plus à même de pouvoir changer les choses. Les grands groupes restent ainsi la destination première des étudiants et diplômés sondés dans le baromètre (50 %). L’environnement est aussi largement en tête des secteurs privilégiés : 71 % des étudiants et 81 % des diplômés se disent intéressés d’y travailler.

Si l’on élargit à l’ensemble de cette génération, 65 % des jeunes de 18 à 30 ans se disent prêts à renoncer à postuler dans une entreprise qui ne prendrait pas suffisamment en compte les enjeux environnementaux et près de sept jeunes âgés de 18 à 30 ans sur dix indiquent qu’ils seraient prêts à changer de travail pour occuper un emploi écologiquement utile, selon une étude Harris-Interactive réalisée en mars 2022. 

Nous sommes face à un bouleversement profond, comme le souligne le directeur de Centrale Nantes  : « Il y a une dizaine d’années, la grande majorité de nos diplômés partaient travailler dans de grands groupes industriels, quand ils sont 75 % à opter pour de bien plus petites structures (PME ou TPI) aujourd’hui. Notamment parce qu’ils y trouvent plus facilement un alignement avec leurs valeurs. »

 


 

« Il suffit de 10 % des collaborateurs pour changer toute l'entreprise. »


La nécessité d’accélérer les démarches RSE

Face à ces aspirations, où en sont les entreprises dans leur politique RSE ? D’après le dernier baromètre 2022 de la RSE, cette dernière a connu des avancées dans les entreprises, mais pas de vraies ruptures face à l’urgence, ni de réelle accélération depuis 2021. Ainsi, une entreprise sur trois n’a toujours pas d’équipe ni de budget dédié. Et plus l’entreprise est grande, moins les salariés sont impliqués dans la démarche RSE. En effet, dans 56 % des TPE répondantes, une grande majorité de salariés est impliquée, contre seulement 4 % dans les grands groupes.

L’étude montre également que, selon leur taille, les entreprises ne s’engagent pas dans des démarches RSE pour les mêmes raisons. Si la motivation principale des TPE sondées est de répondre à l’urgence sociale et environnementale, c’est l’enjeu le moins important pour les grands groupes. Cela traduit des dynamiques très différentes : dans les TPE les plus actives en termes de RSE, ces enjeux font partie intégrante de la mission de l’entreprise, alors que dans les grands groupes, les sujets RSE, s’ils sont importants, sont rarement au cœur du modèle de l’entreprise. Les grands groupes font face à la nécessité d’accélérer leur démarche RSE, sous demande et pression du marché (concurrence et compétitivité), des consommateurs et des candidats.  

Par ailleurs, sous l’impulsion de l’association « Pour un réveil écologique », des groupes de salariés, baptisés « Les Collectifs », ont été créés en 2021. Leur crédo : « Il suffit de 10 % des collaborateurs pour changer toute l'entreprise. » Il existe aujourd’hui 27 collectifs, menés par 3 500 salariés, au sein de grands groupes comme Essilor, Société Générale, Axa, IBM, Engie, Dassault Système ou Suez. Leur objectif : mobiliser leurs collègues, leur direction, leur organisation pour participer au réveil écologique de la société. Pour eux, si les entreprises sont « une partie du problème, (…) elles sont aussi une partie de la solution : par l'impact de leurs produits et services, et leur capacité unique à focaliser ressources humaines et économiques dans un objectif donné. »

Ainsi, même si les grandes entreprises ne comprennent pas toujours cette nouvelle génération, elles ont tout intérêt à être à l’écoute des revendications de ces futures élites et à les intégrer dans leur organisation. Puisque les lignes bougent aussi de l’intérieur, n’est-ce pas là un excellent moyen pour les entreprises d’accélérer leur transition vers un modèle plus durable ? 


 

Lire aussi : La Révolte. Enquête sur les jeunes élites face au défi écologique, de Marine Miller (oct. 2021, Éditions du Seuil)

 

* par le BCG, la Conférence des grandes écoles et Ipsos. Consultation réalisée auprès de plus de 2 000 élèves et Alumni de grandes écoles.
 

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