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L’art au service du retour à l’emploi

Dans les Hauts-de-France, L’Art d’accéder à l’emploi, un dispositif inédit récemment labellisé, permet à des demandeurs d’emploi de se remobiliser grâce à l’art pour convaincre un public de recruteurs de leurs qualités et de leurs compétences. Retour sur des événements qui ont déjà eu lieu.

Publié le  23/08/2022

Les mélomanes ont des compétences transférables vers l’emploi. C’est sur cette intime conviction fondée sur vingt années de solos de batterie que Fabien Musy, 36 ans, responsable d’équipe à l’agence Pôle emploi de Denain (59) a eu l’idée d’organiser le premier « concert-job dating » de France. Treize personnes, huit hommes, cinq femmes, qui avaient coché la case « aime la musique » en s’inscrivant un jour à Pôle emploi, ont signé pour « L’emploi donne le “la” ».


Pour rejoindre l’orchestre, il fallait accepter trois conditions : répéter pendant huit semaines avec un groupe d’inconnus, travailler à la réalisation d’une vidéo personnelle d’une minute pour présenter ses compétences et désirs d’embauche et participer à un grand concert sur la scène du théâtre de Denain, devant un public composé de recruteurs locaux, chefs d’entreprise, DRH ou commerçants, tous susceptibles de leur fixer immédiatement un premier rendez-vous d’embauche.  
 

Un groupe mélangé, hétérogène ?

C’est ainsi qu’Axel, ébéniste et batteur, Jim, développeur web et bassiste, Tracy, agente des services hospitaliers et chanteuse ou encore Marie-Amélie, aide à domicile et guitariste, se sont retrouvés un samedi matin, instruments en main, dans un studio d’enregistrement du Campus des Musiques Actuelles (CMA) de Valenciennes. Arnaud, le directeur artistique de l’école a amicalement soutenu Pôle emploi en accompagnant chaque répétition pour conseiller et guider les musiciens. 

Le groupe est plutôt composite. La plus jeune a 21 ans, le plus âgé 60. « 90 % sont des amateurs, précise Fabien Musy. La plupart n’avait jamais joué en public mais ils ont vite été soutenus par ceux qui avaient une solide expérience de la scène. Ils se sont tout de suite mis à travailler ensemble ».

Pendant que les musiciens se préparent au grand show, les équipes de cinq agences Pôle emploi situées dans le bassin de Denain approchent une à une les entreprises du secteur pour les inviter à l’évènement. Au total, 35 entreprises seront physiquement représentées dans la salle le jour J.

Le programme, 16 titres interprétés en live pendant 1h30, est conçu pour que chaque musicien puisse s’adresser directement et personnellement aux recruteurs. Entre deux chansons, la vidéo de présentation de celui ou celle qui s’apprête à conduire le groupe est diffusée au public. « Au-delà du côté festif, nous n’avons jamais oublié notre objectif premier : une rencontre positive pour décrocher un entretien d’embauche », rappelle le porteur du projet. 
 

Cinq employeurs autour d’elle

 

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Le 16 juin 2022 restera à jamais gravé dans la mémoire de Marie-Amélie. Ce soir-là, cette jeune femme « très timide », selon ses propres mots, a accompagné à la guitare Highway to Hell, le tube d’AC/DC. « C’était le grand final, se souvient-elle. J’ai vu le public se lever et nous applaudir en rugissant. J’ai compris que c’était gagné. ».

À la sortie du concert, une autre surprise attend cette jeune aide à domicile âgée de 21 ans qui cherche un emploi tous azimuts « pourvu qu’il soit en CDD ou en CDI ». Cinq employeurs se rapprochent d’elle. « Avant, quand j’envoyais un CV personne ne me répondait et, là, je me retrouve entre deux CDI possibles. Un poste d’agent polyvalent dans une enseigne de restauration rapide ou vendeuse dans une grande marque de prêt à porter. Je vais devoir choisir ! ». 

Un CDI ferme, des promesses d’embauche, des stages en immersion et une trentaine d’entretiens. Pour Fabien Musy, un mois après l’évènement, le bilan est très positif : « L’Art d’accéder à l’emploi est une ouverture pour les publics qui n’ont peut-être pas le CV idéal, notamment en raison de critères de vulnérabilité, mais qui ont des compétences et des motivations très fortes. Il nous faut continuer. ». 

Les musiciens demandeurs d’emploi de Denain n’ont pas non plus l’intention d’arrêter. Ils ont conservé le groupe WhatsApp sur lequel ils échangeaient des informations entre deux répétitions pour rester en contact. Beaucoup espèrent un deuxième concert.  

Mon job’, tout un art

Un grand musée, cinq toiles de maître, une fausse vente aux enchères. Le projet a tout pour surprendre, d’autant que le marteau du commissaire-priseur est tenu par des demandeurs d’emploi de longue durée et que les acheteurs potentiels sont des recruteurs venus pour embaucher.  

À l’heure du bilan, « Mon job’, tout un art » évènement organisé par Pôle emploi en partenariat avec le Palais des Beaux-Arts de Lille (59), est une réussite.  
En empruntant cette passerelle entre art et emploi, Églantine, 36 ans, a retrouvé une activité après quatre années de chômage. « On m’a ouvert une porte, confie-t-elle. Je sais maintenant de quoi je suis capable. Même si j’échoue dans mon nouveau travail, je sais que je peux rebondir ». « J’ai retrouvé confiance », complète Ouassini, un technico-commercial de 61 ans, qui, après deux années d’inactivité, a suivi le même chemin et décroché un poste de chargé de clientèle. « Confiance en moi-même et, précise-t-il, aussi dans nos institutions. Je ne pensais pas que Pôle emploi était capable d’une chose pareille ! ».

« Mon job’, tout un art » est un parcours de remobilisation pour les demandeurs d’emploi de longue durée. Dix personnes, toutes issues de l’univers de la vente, ont accepté de jouer le rôle de commissaire-priseur devant un parterre de recruteurs. Sur les dix, huit sont aujourd’hui au travail. Tout a commencé par une visite des galeries du Palais des Beaux-Arts. La demande qui leur était faite était de choisir « l’œuvre qui vous parle, qui résonne en vous ». Églantine a flashé sur Médée furieuse, le chef d’œuvre d’Eugène Delacroix qui raconte une scène de la mythologie grecque. Ouassini a choisi, lui, Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne, une toile de Jean-Marc Nattier, un peintre reconnu qui a fréquenté la cour de Louis XV. 

Pendant un mois, à raison de deux ateliers par semaine, les apprentis commissaire-priseur ont suivi un programme très précis concocté par l’équipe de Nourhèn Djaziri, responsable de ce projet à l’agence Pôle emploi de Lille. « Ils ont passé des heures à la bibliothèque du musée pour tout savoir du tableau qu’ils allaient devoir vendre en public. Il va de soi que ce sont bien sûr leurs propres compétences qu’ils se préparaient à mettre en lumière. ». 
Dans ce but, les différents ateliers sont à thèmes. On y travaille l’élocution, la respiration, la gestion du stress et on apprend comment optimiser sa force de vente. 

Églantine qui, avant de commencer le parcours, était muette d’émotion pendant un entretien, a réussi en vendant Médée à conquérir son auditoire sur un point d’histoire. Eugène Delacroix a peint trois versions de ce tableau, mais l’une d’entre elles a disparu pendant l’Occupation. « Si vous l’avez chez vous, n’oubliez pas de la rendre », a-t-elle lancé à la salle, entraînant des rires et un emballement des enchères. Ouassini, lui, a captivé l’assistance en montrant que le bleu si particulier du drap qui cache la jambe de mademoiselle de Lambesc fait aujourd’hui partie des codes couleur utilisés par les grands couturiers. C’est le bleu Nattier. 

À l’issue de cette vente aux enchères fictive, Églantine et Ouassini ont été approchés par quatre représentants des quinze entreprises représentées à la vente. Mélissa Quentin, 32 ans, chargée de recrutement chez Armatis, en faisait partie. « J’ai été très impressionnée par leur aisance et leur humour », dit-elle. Le groupe Armatis est spécialisé dans l’assistance clients à distance. Son centre de Villeneuve d’Ascq emploie 550 personnes. « Mais la concurrence est rude pour trouver des candidats.  Rien que dans notre rue il y a quatre centres d’appels et un cinquième est en train de s’installer. » Mélissa Quentin pratique le recrutement autrement. « Notre ADN, explique-t-elle, c’est : “Rangez-moi ce CV et discutons plutôt”. Au Palais des Beaux-Arts, j’ai rencontré deux candidats que je n’aurais jamais retenus si je n’avais pas assisté à cette opération. ».

Pour le directeur de l’agence Pôle emploi de Lille République, les entreprises ont beaucoup évolué. « Je n’ai jamais vu autant d’entreprises s’ouvrir, explique Frédéric De Breyne. Jamais je n’ai autant vu de publicités où on peut lire “je recrute”. ». Pour ce spécialiste, l’idée d’une formation en interne avant une prise de poste est maintenant admise. « Nous accompagnons autant les employeurs que les demandeurs d’emploi, poursuit-il. D’où l’importance des actions menées dans le cadre de l’Art d’accéder à l’emploi qui sont une réussite et qui vont se poursuivre. ».

Une deuxième vente aux enchères fictive au Palais des Beaux-Arts est en préparation. Elle sera centrée sur les métiers de l’hôtellerie-restauration avec l’appui des branches professionnelles, une troisième est également programmée avec des cadres.  

Retour sur "Mon job’, tout un art" en images

Les outils du théâtre pour revenir à l’emploi

 

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À Liévin, ville de 30 000 habitants, l’agence Pôle emploi compte 9 000 demandeurs d’emploi. La moitié d’entre eux sont au chômage depuis plus d’un an et souvent beaucoup plus. Dans ce contexte, Liévin fait partie des 66 agences de France où les demandeurs d’emploi de longue durée bénéficient d’un accompagnement renforcé intensif baptisé Equip’emploi.

Garder la tête haute : c’est tout le travail de Caroline Lebas, conseillère Pôle emploi à Liévin (62), et de sa collègue Coraline qui proposent dans le cadre de L’Art d’accéder à l’emploi un programme mixte où alternent une initiation pratique aux outils numériques et des séances de remobilisation par les outils du théâtre.  

Chaque mardi pendant quatre semaines, douze personnes ont rendez-vous à la médiathèque. « Beaucoup viennent de quartiers prioritaires (QPV) et sont bénéficiaires du RSA, explique Caroline Lebas. Nous accompagnons aussi des travailleurs handicapés. Il y a enfin des personnes déstabilisées par un coup du sort survenant après des années de parfaite collaboration, par exemple après la fermeture brutale d’un magasin. ». 

Le programme de Scen’Emploi se déroule en quatre actes. Trois sont consacrés à la préparation d’un entretien avec un recruteur. Le quatrième est une présentation devant un parterre d’employeurs. 
Toute l’action se déroule sur des chaises tournantes posées sur la scène de la petite salle de spectacle. Cela commence par une sorte de huis clos où chacun est invité à se libérer du poids de ses échecs, afin de mieux se reconstruire. « Il y a souvent des larmes mais elles sont vite séchées par le soutien des autres participants, note Caroline Lebas. Une fois le négatif évacué, on déroule le positif. ».

Comment ne pas stresser avant et pendant un entretien d’embauche ? La conseillère donne des trucs d’acteurs de théâtre. Se pincer la langue en soufflant pour ne pas avoir la gorge sèche. Poser son regard sans regarder réellement tout en gardant la tête haute pour ne pas être intimidé. 

La formation est complétée par des exercices de diction. Chacun est invité à s’interroger sur sa manière de dire bonjour. Un extrait du film Itinéraire d’un enfant gâté, de Claude Lelouch, sert de tuto. La réplique culte de Jean-Paul Belmondo à Richard Anconina « Si tu dis bien bonjour, tu as fait la moitié du chemin » sert de comburant au débat.  

Jacky revient de loin. Après plus de dix années d’inactivité due aux conséquences d’un maladie nerveuse et un passage à Scen’Emploi, cet employé de rayon âgé de 40 ans est aujourd’hui en emploi aidé à un poste d’agent d’accueil. Jacky le dit, il a bien failli baisser les bras. « J’en avais marre. Les gens disaient de moi : “celui-là, c’est un fainéant. Il en roule pas une”. ». Et d’expliquer les bienfaits du passage à Scen’Emploi : « Ici on prend le temps de tout se dire et une fois que tout le monde s’est présenté, on comprend qu’on est tous pareils, tous dans le même bateau. Et ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre. ».

Ce que confirme le responsable de l’équipe Scen’Emploi de l’agence Pôle emploi de Liévin. « Avec les personnes les plus éloignées du marché du travail, explique Philippe Huxley, nous devons procéder par étape, petits pas après petits pas. ». 
 

L’Art d’accéder à l’emploi, un nom de marque protégé

 

Dans les Hauts-de-France, Pôle emploi a commencé dès 2016 à initier des partenariats avec les musées et associations de la région pour réaliser des actions au bénéfice des demandeurs d’emploi. 

L’Art d’accéder à l’emploi institutionnalise et démultiplie ce type de partenariats en lui donnant un nom et un cadre. L’objectif est d’accélérer le retour à l’emploi des personnes qui en sont le plus éloignées, en réalisant des actions innovantes dans le but de recruter autrement. Le dispositif est soutenu par la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), tant sur le contenu que financièrement, par le versement d’une subvention à Pôle emploi Hauts-de-France.

Le lancement officiel a eu lieu le 7 décembre 2021 au Louvre-Lens. Il a réuni tous les partenaires, musées municipaux et départementaux, structures culturelles, entreprises, en présence des élus et des représentants de l’État, de la région et des départements. Depuis, cinquante évènements ont été réalisés sous cette appellation. Il est désormais un nom de marque déposé à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). 
 

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