Opinions

ChatGPT : le début de la fin du journalisme ?

Le style naturel et fluide du robot conversationnel lancé le 6 novembre dernier par l’entreprise américaine OpenAI a bluffé une profession qui s’interroge sur l’arrivée de nouveaux modèles qui pourraient bien, cette fois, être connectés au fil de l’actualité.

Publié le  01/06/2023

Depuis qu’il a lu la réponse de ChatGPT à sa question sur la biologie des massifs coraliens, sujet qu’il connait parfaitement, Martin s’inquiète. « J’ai reçu quasi instantanément un texte à la fois succinct, juste et parfaitement résumé », affirme ce journaliste qui travaille pour plusieurs entreprises et organismes publics. « ChatGPT est capable d’écrire une note, une synthèse, ou même un premier jet d’article « à la manière de » Balzac, Le Figaro, Le Monde, il suffit de le lui demander », s’inquiète le journaliste pour qui ChatGPT annonce la fin programmée de l’assistant, du documentaliste et même du stagiaire. « Et forcément, il y aura moins de travail pour les pigistes. Le métier s’exercera plus vite avec moins de monde », partage-t-il. En 2022, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) a délivré 34 043 cartes. Un chiffre en baisse d’un peu plus de 1 % par rapport à 2021.

Revenir aux bases du métier

Olivier Lascar, ingénieur de formation, rédacteur en chef numérique du magazine Sciences et Avenir- La Recherche et auteur l’an dernier de Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science (éditions Alisio), trouve cette inquiétude légitime, tout en estimant qu’il n’y a pas encore le feu : « Il faut revenir aux bases du métier. Le journalisme, c’est trouver des sources, les croiser avec un devoir d’explication, de pédagogie. Ce que l’on voit aujourd’hui de ChatGPT est extrêmement bluffant au niveau de la formulation et de la fluidité du propos, mais cela marche comme le font les beaux parleurs, c’est-à-dire avec des paroles souvent creuses et vides de sens. » 

« Le journalisme, c’est trouver des sources, les croiser avec un devoir d’explication, de pédagogie »

Olivier Lascar
rédacteur en chef numérique de Sciences et Avenir – La Recherche

Chez Sciences et Avenir – La Recherche, une quarantaine de journalistes, dont près de la moitié sont pigistes, travaillent à la réalisation de chaque numéro, ainsi qu’à sa déclinaison sur le web (6 millions de vues par mois), sans oublier les hors-séries sur la grande histoire de la physique ou sur les nombres. Olivier Lascar est catégorique : pas question de se passer des pigistes maison et encore moins de publier un article rédigé par ChatGPT. 


Le journalisme de qualité demande beaucoup d’efforts, de la patience, du savoir-faire et de la créativité. Dévoreur de connaissances, ChatGPT, lui, aligne ses réponses sur ce qui a été statistiquement le plus rapporté sur un sujet donné. C’est un robinet d’eau tiède au contenu prudent mais pas toujours rigoureux, qui, en plus, ne cite jamais ses sources. Pour Olivier Lascar, ChatGPT est donc, en l’état, mieux adapté aux « fermes à contenu », ces sites web qui noircissent des pages au kilomètre pour obtenir le meilleur référencement des moteurs de recherche. Reste que de nouvelles versions de ChatGPT bien plus performantes sont annoncées par les géants du numérique. « Il va forcément y avoir une évolution, prévient Olivier Lascar, et il faut regarder cela avec sérieux. Le danger, c’est la production de textes de plus en plus qualitatifs. Pour l’instant, on n’y est pas, car ChatGPT n’est pas connecté au web. Si cela se produit, la machine aura accès à des sources qui sont de toutes natures, y compris celles qui sont toxiques ». 
 

« L’IA est entrain de profondément modifier notre rapport au savoir, à la transmission, à l’information, et nous devons collectivement mener une réflexion à ce sujet »

Mathias Vicherat
directeur de Sciences Po Paris

Développer une pensée critique

À Sciences Po, dont l’école de journalisme a été classée « la meilleure de toutes » en 2022, l’utilisation de ChatGPT est proscrite. Tous les étudiants de la rue Saint-Guillaume, à Paris, ont reçu un courriel leur annonçant que les règles encadrant le plagiat s’appliquaient désormais à ChatGPT et que son utilisation serait sanctionnée, si elle n’est pas clairement mentionnée par l’étudiant qui y aurait recours. Dans un post sur LinkedIn, le directeur de Sciences Po Paris, Mathias Vicherat, a expliqué cette décision. « L’IA est entrain de profondément modifier notre rapport au savoir, à la transmission, à l’information, et nous devons collectivement mener une réflexion à ce sujet ». Il a également annoncé la création d’une formation à ce type d’outil destinée aux étudiants « afin qu’ils puissent en connaître les potentialités, les limites, et adopter un esprit critique dans leurs usages ».


Rue de Tolbiac dans le 13e arrondissement de Paris, à l’École supérieure de Journalisme de Paris, pas d’interdiction en vue pour les 120 étudiants qui se forment actuellement aux nombreux métiers de la presse (écrite, web, parlée et télévisée). Pour Christophe Michel, qui enseigne depuis une dizaine d’années les techniques de l’écriture journalistique, « l’informatique a déjà tout bouleversé. Avec les correcteurs automatiques, les étudiants ne font plus l’effort de mettre le nez dans un dictionnaire. Certains développent une forte appétence pour le copier-coller. Jusqu’ici, je sais comment les repérer dans une copie mais s’il faut, en plus, vérifier que le texte n’est pas l’œuvre d’un robot, notre métier devient effectivement très compliqué ». L’enseignant n’ose pas croire au grand remplacement des journalistes par des machines : « Construire une carrière les bras croisés en s’appuyant sur un système qui fait son boulot en faisant croire que c’est le sien n’a aucun sens. Il y a trop d’ego chez les journalistes ». 

ChatGPT, Bard, Bing…

Boostée par les poids lourds du numérique, la révolution de l’intelligence artificielle galope.

 

Lancé le 6 novembre dernier par OpenAI, avec le soutien financier de Microsoft, ChatGPT n’est pas le premier robot conversationnel de sa génération. Son précurseur a été brutalement stoppé en 2016 parce qu’il tenait des propos nazis. Premier, ChatGPT l’est dans sa catégorie pour avoir capitalisé en quelques jours une audience record. 


Les chiffres qui circulent - un million d’inscrits en seulement cinq jours sur le site d’OpenAI, plus cent millions d’utilisateurs - témoignent de la curiosité planétaire pour des machines qui se rapprochent de plus en plus de l’humain. Un engouement tel, qu’il faut maintenant patienter sur une liste d’attente avant de pouvoir interroger ChatGPT. Cette interruption masquée présage l’arrivée d’une nouvelle version du robot (GPT-4), cette fois payante et enrichie de facultés de génération d’images et de vidéos.  


Face à un tel succès, les concurrents de Microsoft n’ont pas tardé à réagir. Leader du numérique, Google a annoncé l’arrivée prochaine de Bard, un robot capable, comme ChatGPT de répondre à n’importe quelle question en produisant du texte imitant la syntaxe humaine. Le géant de Moutain View entend rapprocher textes, images et vidéos avec Imagen. 


De son côté, Microsoft continue d’exploiter son filon en promettant d’intégrer la technologie de ChatGPT dans Bing, son moteur de recherche. La révolution ne fait que commencer. 

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