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« La performance n’est pas une finalité, mais le résultat de pratiques organisationnelles et de comportements humains qui tendent vers l’excellence »

Professeur à l’EM Lyon Business School, co-fondateur d’Act4 Talents et spécialiste du management, THIERRY PICQ décrypte dans son dernier ouvrage, « L’Art de la performance »*, les stratégies de sportifs, de chefs étoilés ou de musiciens pour booster leurs projets. Des pratiques d’excellence qu’il invite à mettre en œuvre dans le management au quotidien. Rencontre.

Publié le  07/02/2023

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La performance, qu’est-ce que c’est ?

La performance est un mot banal, présent sur toutes les lèvres. Quand on s’interroge un peu et surtout quand on interroge le concept dans des environnements d’excellence aussi variés que le sport de haut niveau, les Forces spéciales militaires, les musiciens, les explorateurs ou les grands chefs (ce que je fais dans mon livre « L’Art de la performance »), il s’avère que la performance se réfère à une réalité multiple et relative. 
 

Comment se mesure la performance ?

Dans le domaine du sport, elle se mesure à l’aide d’indicateurs quantitatifs, mais elle est parfois seulement qualitative, comme dans l’univers de la musique ou de la gastronomie où elle dépend de la perception de ceux qui écoutent ou dégustent. La performance est liée au résultat mais aussi au process qui a permis de l’atteindre. « on peut avoir gagné un match et avoir mal joué, ou perdu un match et avoir bien joué ».

Elle peut être absolue (record du monde, Everest) ou relative (gagner une course, une audition) ; ou encore être liée à un objectif personnel (faire un marathon en moins de 4  heures, se faire plaisir…) ou à des moyens (on parle alors d’efficience). La performance peut être individuelle (nageur, aventurier solitaire, musicien soliste), collective (orchestre, équipe de sport collectif) ou organisationnelle (process, organisation), indépendamment des individus qui composent les équipes. La performance est posée dans le temps - par exemple un match ou un concert -, ou durable (les Forces spéciales, l’équipe de France de handball ou encore la grande cuisine).
 

Quels sont les standards de la performance ?

La performance fait bien sûr référence à des standards de qualité : assurer un niveau récurrent de qualité pour un orchestre ou un sportif. Mais elle peut aussi être liée à des coups de génie (un saut en longueur) ou à des singularités (signature des grands chefs). Elle peut être tout à la fois économique, technique, sociale, environnementale, sociétale… 
 

Quelles questions posent la performance ?

La performance pose la question de l’éthique, du coût et de la limite de la recherche de performance à tout prix. La performance est un concept complexe, multi-facettes, qui ne va pas de soi et qui nécessite donc une construction sociale. Ce qui signifie qu’il faut consacrer du temps à définir son propre référentiel et se mettre d’accord dans un contexte donné sur ce qu’on va appeler la performance et comment on va la mesurer. 
 

Réintroduire la dimension artistique de la performance dans toute activité est une invitation pour les entreprises à questionner ce qu’est l’art du travail bien fait…


En quoi la performance est un art ?

Comme en cuisine, la performance est basée sur des ingrédients qu’il s’agit d’associer pour créer une recette toujours unique, adaptée au contexte singulier de chaque organisation. La recette de la  performance repose, certes, sur quelques principes, méthodes et outils, mais elle est surtout le résultat d’une alchimie entre les ingrédients qui la composent, la mise en place de conditions propices et le savoir-faire, le « tour de main » propre à chaque dirigeant et manager. Mes différentes recherches dans des milieux extrêmes - particulièrement confrontés aux risques, aux incertitudes et à l’impératif de haute performance - m’ont amenées à réfléchir à la place qu’occupent l’élégance, l’esthétique dans la réussite.

L’élégance n’est-elle pas ce qui fait la différence entre un joueur comme Federer et les autres ? N’y a-t-il pas une véritable dimension artistique dans le dressage d’un plat gastronomique, ou même dans le déploiement d’une troupe de commandos des Forces spéciales qui progressent dans une symbiose intégrale, où chacun sait où est la place de l’autre ? Réintroduire la dimension artistique de la performance dans toute activité est une invitation pour les entreprises à questionner ce qu’est l’art du travail bien fait, la recherche de faire de belles choses, l’élégance des relations interpersonnelles et la dimension qualitative de la performance.  
 

Comment est né votre intérêt pour la performance ?

Ce n’est pas tant la performance qui m’intéresse, que la rencontre avec ces univers méconnus et la possibilité d’ouvrir « la boîte noire » de leur fonctionnement. Les environnements de très haute performance ont la particularité d’exacerber des comportements individuels et collectifs, et d’agir avec un extrême professionnalisme face à des enjeux où l’échec n’est pas une option. Ces pratiques managériales et organisationnelles sont riches d’enseignements pour les organisations plus ordinaires. Comment fonctionne une équipe de sport collectif ? Que se passe-t-il pendant la répétition d’un orchestre ?

Comment se prépare une mission commando ou une expédition polaire ? Voilà ce qui m’intéresse. La performance n’est pas une finalité, mais le résultat de pratiques organisationnelles et de comportements humains qui tendent vers l’excellence. Comme le disait Claude Onesta, ex-entraineur de l’équipe de France de handball : « L’objectif n’est pas la médaille, mais le chemin emprunté pour l’obtenir. La victoire n’est que la conséquence d’un parcours réussi, d’une aventure humaine où chacun a appris, grandi, donné le meilleur de lui-même ». C’est cet état d’esprit que je tente, modestement, de transmettre à tous ceux qui m’écoutent.  
 

Chacun peut devenir un virtuose, à son niveau et dans son domaine, à condition de beaucoup de travail, de rigueur et de discipline, mais aussi de temps.


Vous qualifiez les personnes performantes de virtuoses, pourquoi ?

Un virtuose ne s’apparente pas à un génie ou à une personne hors du commun, et donc inaccessible. Un virtuose, selon moi, est quelqu’un qui a une maitrise totale des paramètres de son activité, qui dispose des compétences éprouvées les plus pointues, qui sait comprendre et s’adapter à des situations complexes et mobiliser les bonnes ressources pour faire face à ces situations. Et tout cela avec une fluidité et une maitrise personnelle qui lui procurent sérénité et plaisir. Selon cette définition, chacun peut devenir un virtuose, à son niveau et dans son domaine, à condition de beaucoup de travail, de rigueur et de discipline, mais aussi de temps.

Le temps du développement humain est un temps long, à base d’expériences, de réussites, d’échecs, d’apprentissages et de remises en cause. Être un virtuose n’est donc pas un état, mais un processus qui se construit tout au long de la vie. C’est ce que j’ai retrouvé chez tous les sportifs, militaires, explorateurs et autres acteurs que j’ai pu rencontrer : une quête d’excellence qui ne s’arrête jamais.   
 

Vous évoquez l’art de la performance dans les domaines du sport, de la gastronomie, de la musique… En quoi ces exemples peuvent nourrir le management en entreprise ? 

Les Forces spéciales militaires, les grands chefs ou encore les explorateurs peuvent apparaitre comme bien éloignés du monde de l’entreprise. Pourtant, celui-ci est de plus en plus confronté à un environnement risqué, incertain et qui nécessite une performance toujours plus forte. Bien sûr, il ne s’agit pas de copier-coller des pratiques issus d’univers différents ou d’importer des recettes magiques sans discernement ni retour.

L’intérêt est de découvrir de nouveaux référentiels, des enjeux et des solutions qui peuvent générer de nouvelles idées. Pour cela, j’utilise ce que j’appelle la « pédagogie par le détour », qui consiste à s’inspirer d’autres contextes pour mieux requestionner sa propre réalité, changer de regard sur des questions récurrentes et s’ouvrir de nouvelles voies d’action. Ces détours peuvent prendre de multiples formes : lectures, conférences, rencontres avec des représentants d’autres milieux ou même visites et learning expéditions au cœur de ces mondes finalement peu connus.    
 

La performance ne consiste pas à réussir ou gagner une fois, mais à créer des processus qui permettent de générer une capacité à répéter des résultats positifs dans le temps.


Pourquoi faut-il distinguer résultat et performance ?

Le résultat n’est qu’une facette de la performance. La façon dont on obtient ce résultat est tout aussi importante et analysée avec soin par tous les entraineurs, coachs et encadrants que j’ai pu rencontrer. Les sportifs distinguent toujours le résultat de la performance : « on peut avoir gagné un match et avoir mal joué, ou perdu un match et avoir bien joué ». Ce qui compte, c’est d’identifier les processus à l’œuvre pour pouvoir les améliorer et créer de la performance durable, pour partie détachée des résultats ponctuels.

Par exemple, pour les alpinistes, la performance tient souvent moins au fait d’avoir atteint un sommet qu’à la façon dont le groupe a cheminé dans l’ascension et dans ce qu’en ont appris les membres de la cordée. De même, dans les Forces spéciales, de nombreuses opérations ne vont pas à leur terme, car des imprévus apparaissent et la priorité est toujours donnée à l’intégrité des soldats et à la discrétion des missions. Il n’est donc pas question de se lancer dans de assauts inconsidérés ou de se faire prendre. En revanche, chaque mission, aboutie ou non, donne lieu à un retour d’expérience et à un apprentissage soignés, dans l’optique d’être utile aux missions futures et de générer de l’amélioration continue. La performance ne consiste pas à réussir ou gagner une fois, mais à créer des processus qui permettent de générer une capacité à répéter des résultats positifs dans le temps. 
 

Pourquoi est-il primordial de valoriser les points forts de ses collaborateurs ?

Notre système éducatif a toujours pointé nos difficultés, nos faiblesses, nos erreurs. Et dans l’entreprise, on retrouve cette tendance à envoyer en formation des collaborateurs sur des compétences manquantes. Bien sûr, il n’y pas de bonnes équipes sans bons joueurs et il faut s’assurer que chaque équipier maitrise bien l’ensemble des compétences techniques liées à son domaine de compétences. Mais les sportifs, militaires, explorateurs et musiciens vont plus loin, en partant des points forts de chacun et en bâtissant l’équipe sur ces ressources. L’entreprise a tendance à créer des descriptions de fonction et à trouver les collaborateurs qui correspondent à ces critères. Ceci au détriment des compétences, talents ou zones de valeur ajoutée potentielle de ces personnes, que leur CV n’indique pas toujours et qui pourraient pourtant être utiles à l’équipe.

Les entraineurs de sport valorisent énormément les « spéciales » de chaque joueur, ces gestes naturels que le joueur fait sans effort. Ils les développent même de façon ostensible, afin que toute l’équipe puisse en bénéficier. En revanche, le travail sur les points faibles doit rester plus discret, pour surtout ne pas faire douter le joueur dans un registre où il est plus faible et ne pas prendre le risque de contaminer ses points forts. Comme le dit Daniel Costantini, le premier entraineur à succès de l’équipe de France de handball : « Un entraîneur qui a compris cela, fait avant tout de la gestion individuelle, et construit la force de son collectif sur les talents en présence, une fois qu'ils sont clairement identifiés et solidement affirmés. » Dans les entreprises, connait-on les « spéciales » de chaque collaborateur ? Prend-on le risque de construire des organisations sur la base des talents en présence pour maximiser l’apport de chacun dans sa zone d’excellence ? N’a-t-on pas plutôt tendance à pointer les difficultés, les points faibles ?  
 

Les limites de la quête de la performance sont bien évidemment celles posées par l’éthique et le respect des règles du jeu.


Quelles sont les limites de la quête de la performance à tout prix ?

Le sport, l’armée et la gastronomie sont loin d’être exemplaires et reviennent de loin... Les affaires de dopage, de triche et de violence ne manquent pas. Le management toxique, machiste et brutal dans les grandes cuisines est malheureusement bien connu. Les limites de la quête de la performance sont évidemment celles posées par l’éthique et le respect des règles du jeu. Les conséquences sur l’individu sont également à prendre en compte. On ne compte pas le nombre de sportifs abimés, usés, cassés ou tout simplement rejetés et abandonnés par un monde qui a souvent été implacable, faisant peu de cas des impacts de santé à long terme et des effets psychologiques d’un environnement stressant.

Le burn-out dans le milieu du sport n’est pas nouveau et les meilleurs n’y échappent pas, comme l’illustre le craquage de Marie-José Pérec pendant les Jeux Olympiques de Sydney en… 2000 ! La Française triple médaillée d'or olympique quittait la compétition sans défendre son titre pour se rendre en clinique. Peut-on réussir à n’importe quel prix ? L’entreprise est évidemment confrontée aux mêmes questions avec l’enjeu numéro 1 de prendre soin de ses richesses humaines, qui sont le facteur numéro 1 de sa performance durable. 
 

Chacun peut mener sa quête d’excellence, dans son domaine et à son niveau, avec du travail, des efforts, de l’exigence, de la discipline et de la motivation.


Est-il possible de se forger un mental de champion quand on n’est ni Mbappé ni Tony Parker ?

Je suis persuadé que oui. Je partage souvent cette citation d’Aristote : « L’excellence est une habitude, que l’on n’atteint que par l’exercice constant ». Nous devenons ce que nous sommes. Si devenir meilleur est une répétition, un travail quotidien et une recherche continue, alors l’excellence est à la portée de tous. Chacun peut mener sa quête d’excellence dans son domaine et à son niveau, avec du travail, des efforts, de l’exigence, de la discipline et de la motivation. J’ai été frappé par le fait que les personnes que j’ai rencontrées sont des gens ordinaires qui ont réussi à faire des choses extraordinaires. Et même si on n’est pas tous champions du monde (ce qui nous ramène au résultat), on peut tous être le champion de sa vie, et donc être performant. « Être meilleur ne s’arrête jamais et concerne tout le monde ».  
 

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L’Art de la performance », de Thierry Picq, Jérôme Brisebourg et Christophe Hannezo, éditions Dunod. 

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