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« Absolument tout le monde peut un jour ou l’autre souffrir d’un trouble de santé mentale »

Entrée depuis quelques années dans le langage courant, la santé mentale est une réalité complexe que les entreprises commencent seulement à percevoir et à considérer. Éclairage avec Mickael Worms-Ehrminger, docteur en santé publique et spécialiste de la santé mentale.

Publié le  13/10/2023

À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, Santé publique France a annoncé la diffusion, jusqu’en décembre sur les réseaux sociaux, de cinq vidéos « Le Fil Good » pour décrypter les comportements bénéfiques au bien-être psychique et à la santé mentale des jeunes.

Selon Santé publique France, la santé mentale des Français reste dégradée en 2023, une tendance constante depuis septembre 2020. Cette dégradation concerne plus particulièrement les adolescents (11-17 ans) et les jeunes adultes (18-24 ans).
 

 

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La santé mentale, qu’est-ce que c’est ?

Mickael Worms-Ehrminger : Depuis trois ans, la santé mentale est sur toutes les lèvres mais très peu savent en réalité de quoi on parle. Définissons-là simplement : il s’agit d’un état dynamique, qui peut varier d’un jour à l’autre, et qui permet à l’individu de vivre une vie « banale ». C’est-à-dire réaliser son potentiel et ses ambitions, tout en étant en mesure de faire face aux défis du quotidien.

La santé peut connaitre des fluctuations négatives, des troubles ou des maladies. On peut commencer à parler d’un caractère pathologique de cet état, lorsqu’il a un impact sur le fonctionnement de la personne et entraine une souffrance. De nos jours, on confond souvent, par simplification, santé et maladie, or il ne s’agit pas de la même chose. La santé n’est pas simplement une absence de maladie, c’est un capital.
 

Quelles pathologies entament la santé mentale ?

M. W-E. : Il existe une multitude de diagnostics psychiatriques, aujourd’hui sont consignés dans un manuel de référence qui s’appelle le DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) produit par l’Association américaine de Psychiatrie. Ce manuel est régulièrement mis à jour, les diagnostics sont mouvants, ils s’adaptent à l’air du temps. Par exemple, jusque dans les années 1990, l’homosexualité était considérée comme une pathologie dans le DSM. Il est important de garder à l’esprit que ces diagnostics sont des constructions humaines, théoriques, très ancrées dans un contexte historique et socio-culturel particulier.

Ainsi, une situation qui peut être considérée comme pathologique dans les sociétés occidentales ne le sera pas forcément dans d’autres sociétés. Pour éviter cet écueil, une approche transdiagnostique apparait progressivement : il s’agit de sortir du carcan limitant du diagnostic pour se centrer sur la souffrance de la personne et les processus mentaux et les schémas de pensée qui dysfonctionnent. Mais, de nos jours, l’approche diagnostique catégorielle prédomine encore, et les troubles les plus fréquemment rencontrés sont les troubles anxieux et dépressifs.
 

Il est difficile d’établir un profil général des personnes souffrant d’un trouble de santé mentale car tout le monde ne va pas consulter pour ces problèmes.


Quels sont les profils des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ?

M. W-E. : Il n’y a pas de profil type. Absolument tout le monde peut un jour ou l’autre souffrir d’un trouble de santé mentale, qu’il soit chronique (trouble bipolaire par exemple) ou temporaire (les troubles dépressifs sont dans la plupart des cas temporaires). Aussi, il est difficile d’établir un profil général des personnes souffrant d’un trouble de santé mentale car tout le monde ne va pas consulter pour ces problèmes.

L’image de fausse maladie ou le sentiment de honte sont encore très présents. Par exemple, les troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie, hyperphagie, pour les plus connus) sont culturellement très associés au genre féminin. Près de 90 % des diagnostics de ces troubles concernent des femmes. Or il n’est pas possible d’affirmer que seuls 10 % des personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires sont des hommes : c’est simplement qu’ils ont tendance à ne pas aller consulter pour leur santé mentale, et encore moins pour des troubles pensés comme « féminins ».

On passe donc à côté de statistiques précieuses pour se rendre compte de l’ampleur du fardeau sociétal de la maladie mentale en raison de causes culturelles et idéologiques.
 

Quelles sont les causes des troubles de santé mentale ?

M. W-E. : Elles sont multifactorielles. On parle aujourd’hui principalement de modèle bio-psycho-social pour expliquer les troubles mentaux. Ainsi, on retrouve souvent une composante génétique : une personne ayant un apparenté atteint d’un trouble de santé mentale a, pour certains d’entre eux, plus de risque d’en souffrir aussi. Des dysfonctionnements biologiques peuvent également contribuer à l’émergence et/ou au maintien de troubles : leurs origines peuvent être multiples. Par exemple, la syphilis, qui est une infection, peut évoluer vers ce qu’on appelle la neurosyphilis et affecter le cerveau et les capacités mentales.

Une tumeur cérébrale peut également entraîner des troubles du comportement. Par ailleurs, l’histoire personnelle, le mode de relation que l’on a développé, souvent lié à l’éducation des parents, peuvent jouer sur le développement de schémas de pensée dysfonctionnels. Le contexte social et culturel tel que l’isolement ou le stress chronique lié à son activité professionnelle peut aussi jouer un rôle important. À noter qu’aucun de ces facteurs n’est exclusif, ils interagissent et souvent l’un n’est pas suffisant pour expliquer un trouble. 
 

Un peu d’histoire…

 

Début du XXe siècle. Apparition progressive du terme de « santé mentale », remplaçant petit à petit « hygiène mentale » et « prophylaxie mentale ». Très rarement employé avant 1920.

Années 1940. Dans la littérature anglo-saxonne, c’est vers 1940 que l’usage du terme de mental health (santé mentale) a commencé à se répandre.

1948. Création de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; définition de la santé, dans laquelle la santé mentale est mise en avant comme une composante essentielle. 

2001. Première grande initiative de l’OMS sur le sujet avec la production d’un rapport sur la santé dans le monde par l’OMS, avec comme thématique la santé mentale.
 

Comment prévenir et traiter les problèmes de santé mentale au sein de l’entreprise ?

M. W-E. : Comme il n’y a pas de cause unique à la maladie mentale, la prévention en entreprise ne peut finalement que cibler certains facteurs : promouvoir la qualité de vie au travail ; permettre la flexibilité pour les salariés en difficulté (lorsque cela est possible) - comme ne pas proposer de réunion le matin - ; mettre à disposition des ressources d’aide, il en existe beaucoup sur le territoire, etc. Beaucoup dépend du type d’entreprise, car les problèmes ne seront pas les mêmes selon le milieu : on trouve par exemple dans certaines professions des problèmes de consommation d’alcool, tandis que dans d’autres il s’agira plutôt de troubles anxieux ou dépressifs liés, par exemple, à un management oppressant.

 

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Est-ce que les psychiatres sont sollicités par les entreprises pour accompagner les salariés qui souffrent de problèmes de santé mentale ? 

M. W-E. : Finalement, très peu de psychiatres sont sollicités par les entreprises. Cela peut être considéré comme intrusif par les salariés, qui peuvent penser que ce n’est pas le rôle de l’employeur de se mêler de leur santé mentale, qui reste un champ très intime et surtout très tabou. Beaucoup de salariés semblent aussi avoir peur d’une diffusion des informations entre le professionnel de santé et l’employeur pouvant mener à une modification des relations de travail, voire à une « mise au placard » en raison des préjugés liés aux troubles mentaux.

Cela dit, quelques entreprises commencent à proposer en entreprise des accompagnements psychologiques et psychiatriques. Des complémentaires santé disposent aussi souvent de plateformes de conseils d’hygiène de vie, mais ces dispositifs sont relativement peu connus et surtout très peu utilisés, ou de manière très courte. 
 

En entreprise, la principale action à mettre en œuvre est de mettre des ressources à disposition de ceux qui en auraient besoin.


Que recommandez-vous aux entreprises pour prévenir les problèmes de santé mentale dans leur organisation ?

M. W-E. : C’est très difficile de répondre à cette question, car toutes les situations sont uniques. Chaque entreprise a son ambiance, sa philosophie, son mode de fonctionnement, un profil de salarié correspondant aux types de postes offerts. Les problèmes sont multiples. En entreprise, la principale action à mettre en œuvre est de mettre des ressources à disposition de ceux qui en auraient besoin.

Qu’ils n’aient pas besoin de les demander, mais qu’ils puissent les saisir s’ils en ressentent le besoin. Une expression de souffrance n’est jamais à négliger, toute souffrance a la même valeur et mérite d’être prise en compte. Des ateliers en entreprise pour sensibiliser à ces questions de manière générale et non excluante peuvent être utiles. On le sait, la rencontre, qu’elle soit directe ou indirecte, est le meilleur moyen de changer les regards, surtout quand elle est répétée.

Il s’agit d’un type de prestation que je propose et qui est très bien accueilli en raison d’un intérêt fort des salariés pour ces questions. 
 

Comment traiter sans stigmatiser les personnes atteintes de troubles de la santé mentale ?

M. W-E. : La stigmatisation est un processus très ancré en chacun d’entre nous. Même si nous ne pensons pas être stigmatisant, nous le sommes en réalité toujours dans certaines situations, sans même nous en rendre compte. On parle parfois d’un rôle dans l’évolution de l’espèce, de « protection de l’endogroupe », c’est-à-dire permettre au groupe de rester homogène sans s’ouvrir à ce que l’on considère comme différent.

Or aujourd’hui, et heureusement, la société est à l’heure de l’ouverture et de l’inclusion. L’altérité est de plus en plus acceptée, notamment en entreprise, même s’il existe encore des réticences, voire des reculs et blocages dans certains pays. Le seul moyen de ne pas stigmatiser un groupe d’individus est de le considérer comme un groupe d’êtres humains avant tout, et d’accepter que nous sommes tous différents, et que c’est tout à fait normal : c’est la logique des choses.

Il n’y a donc malheureusement pas de solution miracle, à part une évolution culturelle et sociale, qui prend nécessairement du temps et pourra faire l’objet de réticences.
 

Que pensez-vous de cette initiative d’Amélie Watelet, Directrice des ressources humaines d’AXA France, de créer un réseau de secouristes en santé mentale dans l’entreprise ?

M. W-E. : La création cette année par AXA d’un réseau de secouristes en santé mentale est une initiative intéressante, car elle intègre des personnes pouvant être perçues comme « neutres ». Tout le monde peut suivre cette formation auprès de l’organisme PSSM (premiers soins en santé mentale). Cela permet aux salariés de sortir du cadre très médical du recours direct à un psychiatre, qui n’est pas toujours adapté à la situation.

La prise en compte de la santé mentale en entreprise émerge progressivement en raison d’une prise de conscience collective, et dénote un changement de paradigme. En réalité, le rôle de protection de la santé des salariés par l’employeur date de plusieurs années et la loi précisait bien déjà qu’il s’agissait de « santé physique et mentale ». Or, cela n’était à l’époque pas réellement pris en compte. Les entreprises s’engagent aujourd’hui, et c’est une très bonne chose, car, finalement, il s’agit du lieu où nous passons le plus clair de nos journées. 
 

À lire… 

 

« Vivre avec un trouble de santé mentale: Les mots pour le dire, les outils pour en sortir », de Mickaël Worms-Ehrminger, éditions Marabout.

« En finir avec les idées fausses sur la psychiatrie et la santé mentale », d’Astrid Chevance, cheffe de clinique en Santé publique à l’Université Paris-Cité, avec le concours de Mickael Worms-Ehrminger, éditions de l’Atelier.
 

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