« Créer une entreprise c’est apprendre à vivre dans un work in progress quotidien »

Dix ans, c’est le temps qu’il m’a fallu pour apprendre, monter en compétences, faire mes armes et finalement faire le tour d’un premier métier. En tant que consultant junior, senior, directeur de clientèle puis directeur conseil dans une agence de communication institutionnelle, j’ai eu la chance de croiser beaucoup d’entreprises, de gens et d’aborder beaucoup de sujets passionnants. Cela a été le point de départ d’un autre scénario. 

Quitter le nid, appliquer à soi-même les conseils et stratégies jusque-là prodigués à d’autres, n’était-ce pas là la suite logique ? Un pari sur soi, un pari en soi… L’envie de faire était là, diffuse, avec la certitude de vouloir creuser un sujet, dans un domaine qui avait du sens, après avoir longtemps jonglé avec les missions. L’objectif n’était pas tant de créer une entreprise mais un projet, voire un objet, quelque chose de concret, de tangible.

La mobilité s’est imposée comme une évidence, au croisement de la vie quotidienne et des grands enjeux planétaires. Sensible aux problématiques environnementales, convaincu du caractère central de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme et fervent défenseur des mobilités douces – j’ai longtemps refusé de passer le permis de conduire – j’avais beaucoup travaillé sur ces problématiques auprès de clients publics et privés issus du secteur. Il ne manquait qu’un catalyseur, une étincelle pour allumer la mèche : la rencontre avec mon futur associé et cofondateur, Nicolas Goursot, ingénieur automobile chevronné et pionnier de la mobilité électrique chez PSA. 
 

Les planètes se sont alignées, et uMotion s’est forgée sur une conviction commune : face à l’urgence, aux enjeux et aux impacts du dérèglement climatique, si on ne crée pas maintenant un véhicule à la fois propre et abordable pour la logistique, on le fera trop tard, voire jamais... 

Il est aujourd’hui difficile de ne pas être « vert ». Toute nouvelle entreprise dépourvue de considération écologique ou inconsciente des grands mouvements à l’œuvre se tirerait une balle dans le pied. Alors bien sûr, le développement d’un projet durable et responsable est dans l’air du temps, cela plait aux clients et rassure les investisseurs, mais cela ne fait pas tout. Il faut une proposition technique solide, un modèle économique réaliste et, surtout, un produit qui réponde à une demande réelle du marché. 

C’est pourquoi il me semble difficile de faire cavalier seul. Mieux vaut s’appuyer sur toutes les expertises possibles : les chiffres, l’ingénierie, l’industrie, le commercial, le réglementaire, la communication, l’influence, tout est important… et tout est urgent ! Une complémentarité initiale entre les fondateurs me semble essentielle face à l’ampleur de la tâche. Ensuite il faut consulter, beaucoup : le réseau, l’entourage, les clients, les concurrents…, ils permettent de varier les angles d’attaque, de ne pas s’enferrer dans des voies sans issue, d’éviter des écueils connus, etc. Cette ouverture permet de mesurer l’enthousiasme et d’améliorer le produit en permanence jusqu’au vrai crash-test : un client va-t-il me l’acheter ? 

Et ensuite ? Y en aura-t-il d’autres ? Peut-on l’améliorer ? L’industrialiser ? C’est une course sans ligne d’arrivée, on est dans un mouvement permanent où chaque petite étape en appelle une autre. Créer une entreprise c’est apprendre à vivre dans un work in progress quotidien.

C’est donc une chose, de travailler pour une entreprise. C’en est une autre de créer la sienne. La notion de timing est ultra importante, pour soi et pour le projet. Si l’on sait qu’on crée un produit qui s’inscrit dans une tendance longue, on est rarement sûr d’être parfaitement à l’heure. Un peu en retard et le besoin est satisfait ; trop en avance et on se heurte à l’incompréhension. Changer des habitudes bien ancrées chez les gens ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Là encore, il y a un bon alignement à trouver, et quand il n’est pas là, il faut le provoquer.

Au niveau personnel, c’est également le cas. J’ai eu la chance de rencontrer mon associé à un moment où je voulais et où je pouvais changer de quotidien. Même si le « grand saut » implique une certaine perte de confort, de repères, je ne m’inscris pas dans le mythe de l’héroïsation de l’entrepreneur « qui prend des risques ». Il existe en France des filets de sécurité, des organismes qui accompagnent les chefs d’entreprise, des programmes d’incubation, des experts de la création d’entreprise, des subventions, etc. On se sent soutenu mais cela prend tout de même du temps, on ne se coule pas du jour au lendemain dans un costume de créateur d’entreprise. 

C’est une nouvelle liberté à apprivoiser. On vit les hauts et les bas plus intensément, on découvre beaucoup, on se discipline un peu, on s’organise et on jongle davantage entre vie personnelle et professionnelle pour créer un rythme qui fonctionne ! Bref, on apprend en marchant, en construisant pas à pas quelque chose de totalement nouveau et ça, c’est fantastique !