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« L’attractivité des métiers du soin est une question de survie, un enjeu de société »

L’attractivité des métiers de la santé et du soin à domicile est un véritable enjeu de société, selon Yves Piot, Responsable du pôle Juridique d’Adédom, la fédération nationale qui défend et soutient le développement des activités des associations et des structures gestionnaires à but non lucratif œuvrant dans l’aide, le soin à domicile et les services à la personne. Rencontre.

Publié le  15/03/2024

Quelle est la vocation d’Adédom et quels métiers représente la fédération ?

Yves Piot : Adédom représente 350 associations et organismes gestionnaires à but non lucratif. Nous comptons parmi les quatre grandes fédérations nationales et unions d’employeurs membres de l’Union syndicale de branche (USB-Domicile)1 des activités sociales, médico-sociales, sanitaires et de services à domicile. Soit l’équivalent d’environ 218 000 salariés et 4 700 structures en 2021, contre 5 000 en 2016, selon le dernier rapport de branche2, ce qui témoigne d’une plus grande concentration du secteur. Ajouté aux métiers de l’encadrement et administratifs, nous couvrons cinq métiers majeurs : aide-soignant et infirmier - en centre de soin infirmier ou en service de soin et d’intervention à domicile (SSIAD) - ; auxiliaire de vie sociale ou accompagnant éducatif et social œuvrant dans l’accompagnement de la perte d’autonomie ; enfin, l’aide à domicile ou encore technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF), qui agit auprès des familles en difficulté en tant qu’accompagnant ou médiateur social.

Les besoins en emploi sont conséquents et croissants. À combien sont-ils estimés ?

Y. P. : En 2016, le besoin pour les réseaux de l’USB-domicile était estimé à 20 000 postes. Aujourd’hui, ce chiffre a plus que doublé, portant à environ 40 600 le nombre de projets de recrutement. Il est également bon de rappeler les perspectives du rapport El Khomri de 2019, qui portait à près de 93 000 le nombre de postes qui devaient être créés à échéance 2024, pour pallier les départs en retraite, répondre aux besoins croissants de la population et à l’évolution démographique.
Selon la branche, 94 % des structures envisageaient de recruter en 2022. Selon l’estimation basée sur les Besoins en main-d'œuvre (BMO), les données de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et les indications de la branche de l’aide à domicile, les structures ayant des projets de recrutement vont rechercher en premier lieu des auxiliaires de vie sociale (76 %), des employés à domicile (73 %) et des aides-soignants (27 %). Des recrutements essentiellement motivés par des situations de turn-over (taux de renouvellement), comparativement à des créations de postes.

« L’amélioration des conditions de travail (astreintes, etc.) constitue un enjeu fort de fidélisation des professionnels au sein de l’aide à domicile. »


La demande est là, mais le secteur peine à recruter. Pourquoi ?

Y. P. : Des métiers du soin aux fonctions support, toute la chaîne est en tension. Les chiffres de 2021 font donc sens : l’écart se creuse entre l’offre et la demande, sous l’effet de divers paramètres tels que les départs en retraite des personnels – la pyramide des âges étant relativement élevée dans ce secteur –, la baisse de l’attractivité des métiers et un turn-over qui reste important, principalement lié aux conditions objectives du travail. C’est pourquoi l’amélioration des conditions de travail (astreintes, etc.) constitue un enjeu fort de fidélisation des professionnels au sein de l’aide à domicile.
La méconnaissance des réalités de ce métier est également l’un des paramètres qui explique sa pénurie et, par ricochet, les engagements en formation, bien qu’il s’agisse d’un métier d’accompagnement social à part entière. Ces métiers - souvent perçus à tort comme très physiques ou instables - souffrent encore d’un déficit d’image. En 2022, 86 % des salariés sont en CDI, les CDD pourvoyant essentiellement aux remplacements.
À noter également que 66 % de salariés sont à temps partiel, contre 86 % en 2016 : une tendance positive qui tend à démontrer que les métiers se professionnalisent, avec davantage de stabilité. Aujourd’hui, l’objectif des partenaires sociaux est de continuer l’œuvre de valorisation salariale qui a abouti à l’agrément de l’avenant 43 par l’État en octobre 2021, portant sur la révision de la classification des emplois et du système de rémunération des salariés.

En quoi consiste cette valorisation salariale engagée en octobre 2021 ?

Y. P. : L’avenant 43 à la convention collective induit un nouveau système de classification plus attractif, visant à faciliter les parcours, favoriser l’évolution professionnelle, reconnaître l’expérience et l’acquis des compétences, à l’opposé d’un système qui était auparavant lié uniquement au diplôme sans aucun levier de revalorisation. Cela fait des années que la branche consacre deux fois plus que le taux légal à la formation professionnelle.
Cela nous permet d’inciter les candidats à postuler sans diplôme, afin d’être formés et de monter en compétences. Cette politique de professionnalisation volontariste est toujours d’actualité, malgré des contraintes logistiques persistantes. Ainsi, la crise des vocations est telle aujourd’hui qu’il reste difficile de remplacer un salarié en formation, d’où le besoin impérieux d’embaucher pour qu’il profite de ces opportunités. Si nous nous félicitons de cet accord historique - accéléré par l’impact de la crise sanitaire et sa mise en lumière de nos métiers -, des trous dans la raquette subsistent. Les rémunérations ont certes été revalorisées de 10 à 16 % en moyenne – variable selon les métiers et leur niveau de qualification –, mais leur application reste épineuse pour les départements (financeurs des structures non lucratives), dont la capacité budgétaire est contrainte.

Comment les acteurs associatifs font bouger les lignes ?

Y. P. : L’organisation des structures représente un vrai levier d’attractivité, directement lié à la santé, au bien-être et à l’équilibre des salariés. En donnant plus de responsabilité et d’autonomie aux équipes, nous favoriserons la qualité de vie au travail. Des expérimentations ont déjà porté leurs fruits, les employeurs ayant pris conscience que la transformation du secteur devait passer par de nouvelles approches du terrain et des compétences.

« Le savoir-être est un critère privilégié par les recruteurs, qui se tournent de plus en plus vers des personnes éloignées de l’emploi, via des stratégies d’accompagnement social. »


Que privilégient les recruteurs aujourd’hui pour doper l’emploi ?

Y. P. : Ce qu’il faut garder en tête, c’est que l’on peut intégrer la branche sans diplôme. Les compétences techniques sont faciles à acquérir avec l’expérience et les formations. Le savoir-être est donc un critère privilégié par les recruteurs, qui se tournent de plus en plus vers des personnes éloignées de l’emploi, via des stratégies d’accompagnement social. Cela implique de travailler sur l’accompagnement à la mobilité (crucial en zone rurale), le savoir-être et les connaissances de base.
Cette recherche de qualités comportementales est un aspect que nous pouvons accompagner, via la formation professionnelle et l’acquisition des compétences notamment. C’est un levier très présent dans notre branche. Pour y parvenir, nous favorisons les démarches partenariales dans les territoires et l’accompagnement des nouveaux entrants, en nous appuyant sur les dispositifs tels que la Période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP), la Préparation opérationnelle à l'emploi individuelle/collective (POEI/POEC) et les contrats en alternance.

 

L’attractivité passant par une meilleure connaissance des métiers, quelles actions de sensibilisation menez-vous, notamment avec France Travail ?

Y. P. : La communication autour de nos métiers de la santé, de l’accompagnement et du soin est fondamentale, qu’elle soit à l’échelle ministérielle, des territoires ou des acteurs de l’emploi. Avec France Travail, nous poursuivons notre mission de promotion des métiers en région, tout en relayant auprès de nos adhérents les événements type salons et job-dating. Au niveau local, des initiatives telles qu’un « vis ma vie » ont également permis à des conseillers France Travail de se mettre dans la peau d’un auxiliaire de vie pendant une journée, une belle manière de cerner ce métier.

À quels enjeux globaux la branche doit-elle faire face aujourd’hui ?

Y.P. :attractivité des métiers du soin est une question de survie, un enjeu de société. Au-delà du besoin humain, nous avons démontré que l’investissement dans la prévention et l’accompagnement à domicile, grâce au secteur associatif, permettait de réaliser de vraies économies dans la prise en charge et l’accompagnement des personnes. La crise a été un révélateur des besoins et de l’utilité de ces métiers, et malgré les signaux très positifs portés par l’avenant 43, du chemin reste à parcourir pour reconnaître pleinement ce secteur à sa juste valeur.
 

 

1 L’Union syndicale de branche USB-Domicile regroupe des structures prestataires à but non lucratif qui ont pour activité principale mission d'assurer aux personnes physiques toutes formes d'aide, de soin, d'accompagnement, de services et d'intervention à domicile ou de proximité. Fédérations réunies : ADEDOM, ADMR, FNAAFP/CSF, UNA.

2 Rapport 2022 de la Branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile, élaboré sur la base des données de 2021 des structures et salariés relevant de la Branche. Pour aller plus loin : « Les métiers de l’accompagnement social, maillons essentiels à la cohésion de notre société »

 

La branche professionnelle de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile :

 

  • 4 645 structures (11 % de 50 salariés et plus)
  • 217 609 salariés physiques (89 % sur les métiers d’intervention)
  • 88 % de salariés en CDI
  • 95 % de femmes
  • 56 % de salariés de plus de 45 ans
  • 119 500 stagiaires
  • 56 043 500 euros de dépenses dans la formation

La formation professionnelle et l’évolution des emplois : un enjeu majeur


La formation professionnelle constitue un levier d'action transversal, notamment pour répondre aux enjeux d'attractivité, accompagner le développement des compétences de leurs salariés, faciliter la mobilité interne, fidéliser le personnel et dynamiser le secteur. En 2021, 69 % des salariés souhaitent se former et 30 % ont l’intention d’évoluer professionnellement au sein de leur structure employeuse. Les souhaits de formation concernent l’accompagnement de la fin de vie, Alzheimer, les gestes et postures, la prise en charge du handicap et de l’autisme.

 

Source : Rapport 2022 de la Branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile.

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