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« Les métiers de l’accompagnement social, maillons essentiels à la cohésion de notre société »

À l’occasion d’une nouvelle édition de la Semaine des métiers du soin et de l’accompagnement, nous avons échangé avec Lotfi Ouanezar, Directeur Général d’Emmaüs Solidarité. Fort d’une solide expérience de 17 ans dans le social, il partage avec nous sa vision des grands enjeux du recrutement du secteur, à l’aune de ceux rencontrés au sein d’Emmaüs Solidarité, organisation emblématique du paysage associatif français.

Publié le  26/04/2023

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Emmaüs Solidarité a été fondée en 1954 par l’Abbé Pierre, avec l’ambition de donner à chacun une place dans la société. Quelles sont aujourd’hui ses missions principales ?

Lotfi Ouanezar : Notre association, née suite à l’appel de l’Abbé Pierre en 1954, fait partie du Mouvement Emmaüs. Nous accueillons les personnes les plus fragiles de la société, en intervenant, selon les visions, en tant que dernier filet de sécurité ou comme premier maillon de la chaîne. Toutes les personnes que nous accompagnons sont en situation de rupture, qu’elle soit familiale, amicale, ou face aux institutions. Nous leur offrons un accueil inconditionnel, digne, et mettons tout en œuvre pour qu’elles retrouvent leur place dans la société.

 

Quels publics accueillez-vous dans vos structures ? Combien de personnes sont accompagnées chaque année ?

L.O. : Nous travaillons sur l’ouverture de droits, l’accès au logement, l’accès à la santé mais aussi à la culture, au sport, aux loisirs… 6 000 personnes, qui le plus souvent ont connu un parcours de rue, sont quotidiennement accueillies et accompagnées par nos dispositifs. Le visage de la pauvreté a beaucoup changé en France, et si auparavant, nos actions aidaient essentiellement des hommes isolés, elles concernent désormais de plus en plus de familles avec enfants, des femmes en situation de grande précarité ou encore des personnes âgées dont les retraites sont trop faibles pour subvenir à leurs besoins. Nous accueillons aussi des personnes en situation d’exil qui viennent d’arriver en France. Dans tous les cas, nous leur proposons un accompagnement social global.

 

« 6 000 personnes sont quotidiennement accueillies et accompagnées dans nos dispositifs. »


A travers quels dispositifs, proposez-vous cet accompagnement ?

L.O. : Emmaüs Solidarité c’est 118 services comprenant des dispositifs de l’aller-vers avec 4 maraudes mais aussi une quinzaine d’accueil de jour, 75 centres d’hébergement, 20 pensions de famille et plusieurs missions dédiées à la santé, à l’emploi et à la formation, à la culture ou au logement. Nous intervenons également pour répondre à des situations d’urgence ou de crises humanitaires. Je pense notamment à l’accueil des réfugiés afghans pendant l’été 2021, à celui, plus récent, des réfugiés ukrainiens, ou encore aux situations liées aux urgences climatiques (grand froid ou canicule). 

 

Selon la DIHAL, près de 64 000 postes seraient vacants dans le social et le médico-social. Rencontrez-vous des difficultés de recrutement sur ces métiers ?

L.O. : Le secteur du social est en effet très concerné par les difficultés de recrutement et chaque jour, chez Emmaüs Solidarité, nous avons de nouveaux postes à pourvoir, essentiellement pour des métiers d’éducateurs spécialisés et d’assistants socio-éducatifs. A mon sens, les métiers du social pâtissent d’une forme de méconnaissance, surtout dans le secteur accueil, hébergement et insertion. 

Pourtant, lors de notre participation au Salon Génération Reconversion organisé par Transition Pro en avril dernier, nous avons constaté un fort intérêt pour nos activités de la part de certains salariés du secteur privé, en quête de métiers porteurs de sens. En encourageant et en facilitant leur reconversion, c’est tout un nouveau vivier de candidats qui peut émerger.


 

Que préconisez-vous pour améliorer l’attractivité des métiers du social ?

L.O. : Les employeurs doivent prêter une attention particulière aux conditions de travail proposées à leurs salariés. Cela passe par le respect entre vie personnelle et vie professionnelle, par la préservation de temps d’échanges entre professionnels, et par l’accès à la formation pour favoriser l’évolution de tous les parcours. J’ajouterais que le management des équipes doit être opéré en pleine conscience de la complexité des problématiques qu’elles rencontrent sur le terrain. Les salariés ont des aspirations et interrogations, accentuées par la crise du Covid, et nous devons y répondre de la meilleure façon possible. 

Par ailleurs, en se généralisant, le recours au recrutement inclusif pour les métiers du social peut ouvrir de nouvelles perspectives d’embauche.  Chez Emmaüs Solidarité, nous dépassons notre obligation légale, avec 71 salariés reconnus handicapés dans nos effectifs.

Enfin, le salaire est bien sûr l’une des pierres angulaires du recrutement pour les métiers du social. Le travail, déjà entamé par les financeurs, doit impérativement se poursuivre pour revaloriser les salaires de tous les acteurs du secteur. 


 

 

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Les métiers de l’accompagnement social attirent-ils les jeunes ? Comment faire (re)naître les vocations pour qu’ils aient envie de se lancer dans ces carrières ?

L.O. : La logique doit être double. Il faut, à la fois, aller vers les jeunes pour leur parler de nos métiers – en participant à des forums organisés par les Ecoles du travail social ou intersectoriels par exemple – et s’ouvrir à eux, en leur faisant découvrir nos dispositifs, dès l’âge où ils sont au collège ou au lycée. C’est à travers les rencontres, la découverte du terrain, le partage de nos valeurs que nous ferons naître des vocations. 

Les métiers du social répondent, sans aucun doute, à la recherche de sens des jeunes générations. Mais pour qu’ils le sachent, nous devons communiquer auprès d’eux, en lien avec les acteurs de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’Etat, et en mettant l’accent sur le nombre massif d’emplois créés par le secteur, la diversité des métiers, les valeurs qu’ils véhiculent, et la richesse des parcours possibles.


 

« La logique doit être double. Il faut à la fois aller vers les jeunes pour leur parler de nos métiers – en participant à des forums organisés par les Ecoles du travail social ou intersectoriels par exemple - et s’ouvrir à eux, en leur faisant découvrir nos dispositifs, dès l’âge où ils sont au collège ou au lycée. »


Quels sont les principaux enjeux rencontrés par vos salariés sur le terrain ?

L.O. : La typologie et les besoins des publics accueillis évoluent rapidement et les équipes doivent s’adapter tout aussi vite. Nous ne pouvons pas apporter de réponses identiques à des problématiques qui, elles, sont très spécifiques. Je pense notamment à la perte d’autonomie des personnes âgées ou à la gestion des pathologies mentales pouvant toucher certains de nos publics. Les équipes font preuve d’une constante adaptation et, en dégageant du temps comme elles le peuvent, réinventent ou créent de nouveaux modes d’accompagnement.

 

Quelles valeurs incarnent-ils à travers leur travail ?

L.O. : Solidarité, fraternité, accueil inconditionnel, non-discrimination, travail d’équipe… Des valeurs fortes qui font l’essence de nos actions et irriguent l’ensemble de notre organisation. Je suis fier du travail mené chaque jour par nos équipes qui ont été en première ligne durant la crise du Covid, aux côtés des autres associations du secteur, pour mener ensemble des actions qui ont contribué à sauver des vies, à maintenir le lien avec des personnes en situation de grande vulnérabilité.

 

En effet, durant la crise du Covid, les travailleurs sociaux ont été particulièrement sollicités, souvent éprouvés. Quelles en ont été les principales conséquences sur ces métiers ?

LO : Durant la pandémie, l’arrêt des rencontres physiques a été très difficile. Rien ne remplace l’aller-vers et l’échange en face à face. Cette crise nous a conduit à réadapter nos modes d’accompagnement et à renforcer nos liens avec le secteur médical. Nous avons travaillé main dans la main, en lien avec notre mission santé et nos médecins bénévoles, pour faire face et trouver des réponses dans l’urgence. 

Plus que jamais, nos métiers sont apparus comme essentiels, ce que je salue bien sûr. Mais j’espère aussi que cela ne va pas tomber dans l’oubli, que la société restera consciente du rôle primordial joué par toutes les personnes travaillant dans le secteur du social, rôle qui permet de ne laisser personne sur le côté, et surtout pas les plus fragiles d’entre nous. 


 

« Mais j’espère aussi que cela ne va pas tomber dans l’oubli et que la société restera consciente du rôle primordial joué par toutes les personnes travaillant dans le social, rôle qui permet de ne laisser personne sur le côté, et surtout pas les plus fragiles d’entre nous. »


Est-ce que cela fait partie, selon vous, des grands enjeux qui vont animer les métiers du social dans les années à venir ?

L.O. : Oui, il faut le dire, le réaffirmer et le faire-savoir, la place des métiers du social dans la société doit être revalorisée, comme maillons essentiels à sa cohésion, à l’image d’un ciment créant du lien entre toutes les personnes, quelle que soit leur situation. Nos métiers ont de l’impact sur le quotidien de centaines de milliers de personnes, et sans travail social, une partie de la société décrochera, creusant davantage les inégalités. Il faut faire connaître le plus possible ces métiers et ouvrir largement l’accès à la formation y conduisant. Autre enjeu majeur, nous devons repenser l’accompagnement social en mobilisant le pouvoir d’agir des personnes, dans une démarche de co-construction.

A lire aussi : Le secteur de l’économie sociale et solidaire a aussi de forts besoins en main-d’œuvre | Le témoignage de Thibault Ronsin, DRH de Groupe SOS

 

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