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« Le progrès technique ne signifie pas la fin du travail »

Les nouvelles technologies doivent-elles nous réjouir ou nous inquiéter? Pourquoi certains secteurs peinent-ils tant à recruter ? Rencontre avec Jean-Laurent Cassely*, journaliste, auteur, et conférencier qui s’intéresse aux questions sociales, économiques et territoriales.

Publié le  24/04/2023

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© Hervé Grazzini

L’automatisation des processus et des flux de travail rendue possible par l’intelligence artificielle (IA) pourrait entraîner la suppression de 300 millions de postes dans le monde . Cela vous semble-il plausible ?

Jean-Laurent Cassely : Les médias relaient régulièrement la publication de ce type d’études. Au milieu des années 1990, l’économiste Jeremy Rifkin a publié La Fin du travail (éd. La Découverte), un livre qui a fait grand bruit et dans lequel il expliquait – déjà - que les avancées technologiques mettraient tout le monde au chômage. Or, il y a encore beaucoup de gens qui travaillent de nos jours ! Le progrès technique ne signifie pas la fin du travail, il signe plutôt la fin d’une manière de travailler. Par exemple, ChatGPT pourrait techniquement donner des réponses sensées à cette interview à ma place. Mais il ne pourrait pas réaliser le travail d’incarnation de ces réponses que j’assure en tant qu’humain. 

 

Il est plus facile pour une machine de faire de la comptabilité, voire de rédiger un petit article d’actualité, que de changer des draps dans une chambre d’hôtel.


Quels sont les impacts de ces nouvelles technologies sur les métiers et les modes de travail en général ?

Jean-Laurent Cassely : L’une des conclusions les plus intéressantes de ces études sur le changement technologique, c’est que ce n’est pas dans le travail manuel que les machines excellent, mais plutôt dans le travail routinier et répétitif de bureau. Par exemple, il est plus facile pour une machine de faire de la comptabilité, voire de rédiger un petit article d’actualité, que de changer des draps dans une chambre d’hôtel. Dans les années 1960, on pensait que des machines prépareraient des hamburgers de manière autonome. Il suffit d’entrer dans un fast-food pour constater que ce n’est pas le cas.

 

On envisage de remplacer l’Homme par la technologie alors même que sur tout le territoire de nombreux secteurs souffrent de pénuries de main-d’œuvre. Que peut-on en déduire ?

Jean-Laurent Cassely : Que le changement technologique ne frappe pas tous les emplois. Il épargne les métiers abstraits des grandes entreprises, ceux par exemple de manager ou de consultant. Inversement, il ne remplace pas le travail d’une femme de chambre, donc, ni celui d’une institutrice ou d’un agent de sécurité. De manière générale, la productivité augmente peu dans les services, parce que préparer un sandwich ou réaliser une coupe de cheveux en 2023 en France prend autant de temps qu’il y a un siècle, avec peu ou prou la même méthode de travail.

Se focaliser sur les IA, ChatGPT et les études alarmistes revient donc à occulter totalement une réalité concrète et observable par beaucoup de travailleurs au quotidien : ni les femmes de ménage, ni les aides-soignantes, ni les serveurs ne seront remplacés à court ou moyen terme par les machines. Il s’agit de secteurs qui emploient massivement des humains et continueront de le faire ! 
 

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Aides-soignants, agriculteurs, serveurs… Les métiers en tension sont des métiers tournés vers les autres. Avons-nous perdu le goût des autres dans le travail ?

Jean-Laurent Cassely : Ces métiers en tension ont en commun d’être éprouvants, et ils sont pour une part tournés vers les autres. Ils exigent donc un travail relationnel épuisant, a fortiori depuis la crise sanitaire du Covid qui a mis tout le monde à cran. Le responsable de l’accueil du public dans un parc d’attraction ou dans un centre de soin, le serveur de café ou la téléconseillère qui répond au service client d’une société de e-commerce doivent tous gérer cette charge mentale. D’où un certain nombre de démissions et de reconversions vers des métiers moins exposés sur le plan relationnel et humain. 
 

Beaucoup attendent surtout de pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions et d’être reconnus à leur juste valeur.


Qu’attendons-nous du travail aujourd’hui, et demain ?

Jean-Laurent Cassely : Il serait faux de penser que les gens ne veulent plus travailler. Beaucoup attendent surtout de pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions et d’être reconnus à leur juste valeur. On l’a vu de manière très frappante dans l’hôtellerie-restauration dès 2020, un secteur qui avait pris beaucoup de retard dans la prise en compte de la qualité de vie au travail, avec un management ou une gestion des plannings souvent « à l’ancienne ».

Les patrons de petites structures, pour lesquels les années Covid ont été traumatisantes, et qui sont soumis à de nombreuses difficultés au quotidien, ont compris que sans cette remise en cause, plus personne ne viendrait bosser chez eux ! De nos jours, la question du sens au travail a cessé d’être un petit plus ou l’apanage des salariés bien rémunérés qui se rêvent en artisan d’art ! Elle touche tout le monde.
 

En quoi les nouvelles technologies peuvent-elles réduire la pénibilité au travail ?

Jean-Laurent Cassely : Le progrès technique peut améliorer les conditions de travail, comme lorsqu’on délègue aux IA ou aux robots articulés les aspects les plus rébarbatifs d’un métier. À l’inverse, il peut dégrader la qualité de l’emploi, comme le travailleur en entrepôt guidé par une voix mécanique qui lui dit dans quelle allée se rendre pour récupérer un colis à livrer. Ce qui compte, c’est donc moins le changement technologique que ce qu’on décide d’en faire, c’est à dire le projet de l’entreprise. 

*« La France sous nos yeux », de Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet, édition du Seuil, 2021. Prix du livre d’économie 2021.
 

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