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Interview Marie-Claire Carrère-Gée

Publié le  26/04/2017

Marie-Claire Carrère-Gée est la présidente du Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) depuis 2007. Ce lieu de réflexion et d’échange sur le marché du travail a pour objectif d’analyser les phénomènes qui sous-tendent le secteur et de formuler des propositions de réforme. C’est dans cet esprit qu’il vient de produire une étude ayant pour thème : automatisation, numérisation et emploi. Marie-Claire Carrère-Gée revient pour nous sur ses principaux enseignements.

Le COE vient de publier une étude sur l’automatisation, la numérisation du travail, et leurs conséquences sur l’emploi. Pouvez-vous, concrètement, nous expliquer les phénomènes étudiés par ce rapport ?

Récemment, le débat public a été marqué par la crainte d’un « futur sans emploi ». Et cela, pour des raisons assez classiques – chaque révolution technologique a donné lieu à de grandes peurs – mais aussi parce que des analyses scientifiques contradictoires, ont frappé les esprits : on pense notamment à l’étude conduite par Frey et Osborne, à partir de données sur l’emploi aux Etats-Unis, concluant que près de la moitié des emplois pourrait disparaitre du fait de l’automatisation.

Alors que, dans cette période d’incertitude, nous avons plus que jamais besoin de diagnostics partagés pour élaborer les bonnes stratégies, nous avons voulu, avoir une approche globale prenant en compte, non seulement les destructions d’emploi potentielles, mais aussi les transformations de la structure et du contenu des emplois, le potentiel de création d’emplois, et les modifications susceptibles d’intervenir quant à la localisation des emplois, au niveau national comme international.

Les résultats du rapport du COE montrent que moins de 10% des emplois seraient menacés, alors qu’une étude menée par Roland Berger en 2014 parlait de 42%. Comment expliquer une telle différence ?

C’est effectivement la conclusion principale de l’étude quantitative que nous avons conduite : l’impact du progrès technologique sera au cours des 15-20 prochaines années, beaucoup plus un enjeu de transformation massive du contenu des emplois – 50% des emplois actuels pourrait faire l’objet d’une profonde transformation – que de destruction d’emplois – moins de 10% des emplois seraient menacés.

Cette conclusion est très différente des résultats de l’étude de Roland Berger, qui est une projection, sur données françaises, des conclusions de l’étude de Frey et Osborne conduite sur des données concernant la composition de l’emploi aux Etats-Unis. Pourquoi un tel écart ? Pour une raison assez simple et très importante.

L’étude de Frey et Osborne repose sur une approche par «métier ». Elle considère que, lorsqu’un métier est significativement affecté par le progrès technologique, il disparait. Tous les gens qui l’exercent perdent leur emploi. Il y a donc selon nous un biais évident de surestimation du nombre d’emplois détruits. Pour notre part, nous avons considéré que le progrès technologique a un impact, non sur tel ou tel « métier » en tant que tel, mais sur certaines des tâches accomplies par les actifs. Or, ces tâches et la manière de les accomplir peuvent être très différentes entre personnes effectuant le même métier. De surcroît, le contenu en « tâches » de chaque métier évolue dans le temps, parfois rapidement : chacun d’entre nous peut s’en rendre compte facilement : une même personne peut faire aujourd’hui des choses sensiblement différentes dans son métier par rapport à ce qu’il faisait il y a quelques années. Les employés de banque ne distribuent plus de billets depuis qu’il y a des distributeurs, mais il y a encore des banques. En résumé, nous sommes partis de la réalité de ce que font les gens dans leur activité, non de leur rattachement à un « métier », en nous basant sur les réponses données par les salariés dans le cadre de l’enquête Conditions de travail menée par la DARES.

Quels sont les emplois les plus menacés ? Que va impliquer les phénomènes d’automatisation et de numérisation sur la structure des emplois et leur localisation ?

La vague actuelle d’innovations semble continuer à favoriser l’emploi qualifié. Lorsque nous regardons, parmi les emplois susceptibles d’être transformés ou détruits, quels sont les métiers surreprésentés, il est clair qu’il s’agit principalement d’emplois peu ou pas qualifiés, avec une forte représentation dans l’industrie. Quant aux emplois susceptibles d’être profondément transformés, ils sont plus équitablement répartis entre les services et l’industrie. Ils sont eux aussi en majorité peu ou pas qualifiés, avec quelques exceptions comme des emplois intermédiaires de cadres administratifs ou comptables. La montée en compétences pour tous est plus que jamais nécessaire L’enjeu, c’est d’anticiper, d’accompagner et de mettre chacun en capacité d’évoluer. C’est aussi de se préparer à occuper les nouveaux emplois qui vont apparaître.

Nous mettons aussi en évidence que, si la vague de digitalisation qui est déjà bien engagée a principalement conduit à une fragmentation de la production et à des délocalisations, les nouveaux progrès technologiques – on pense particulièrement à l’automatisation et à l’impression 3D – pourrait conduire des chefs d’entreprise à relocaliser tout ou partie de leur production. C’est un paramètre à prendre activement en compte dans les politiques publiques.
La vague de progrès technologique est également de nature à modifier les équilibres régionaux du marché du travail, certains bassins d’emplois industriels caractérisés par un retard d’investissement et une main d’œuvre peu qualifiée pouvant être défavorisés quand les créations d’emplois très qualifiés directement liés aux nouvelles technologique pouvant accentuer l’avantage des métropoles.

On parle de disparition ou d’évolution des emplois, mais quels sont les enseignements de votre étude en ce qui concerne la création d’emplois ?

Il y en aura. Dans le domaine du numérique, de la robotique, de l’intelligence artificielle, d’abord, même si ce ne sera pas l’essentiel en volume : il faudra déployer les nouvelles machines, être en interaction avec elles, les maintenir. Surtout, l’innovation peut créer beaucoup d’emplois indirects : via des gains de parts de marché de la part d’entreprises améliorant leur compétitivité, l’augmentation de la demande ou en lien avec tous les nouveaux produits et services dont l’apparition sera permise par les nouvelles technologies. Le nombre d’emplois créés dépendra de la façon dont les acteurs économiques, les pouvoirs publics et les citoyens gèreront cette période d’immense transformation, aussi délicate que cruciale, affirmeront ou non leurs choix sociaux et éthiques et exploiteront ou non toutes les opportunités qu’elle offre pour en tirer le meilleur.

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