Article

L’industrie à l’heure du défi de la décarbonation

SEMAINE DE L’INDUSTRIE. En novembre 2022, le président de la République réunissait les représentants des 50 sites industriels français les plus émetteurs de CO2 afin de leur proposer un soutien financier en contrepartie de l’intensification de leurs efforts pour décarboner leur production. Une ambition affichée de s’attaquer à la désindustrialisation de notre pays, tout en œuvrant pour la transition écologique.

Publié le  27/11/2023

En Bref

  • L’un des paris du gouvernement est celui de la réindustrialisation, dans un contexte où 2,5 millions d’emplois industriels ont été perdus en cinquante ans et le poids de l’industrie dans le PIB divisé par deux, passant de 22 % à 11 %.
  • La réindustrialisation doit néanmoins s’adapter aux impératifs écologiques, cette volonté s’étant inscrite dans le projet de loi industrie verte promulguée en octobre 2023, sans pour autant porter préjudice aux 3,2 millions d’emplois industriels toujours présents en France.
  • Le soutien public à cette transformation s’élève à 5 milliards d’euros dans le cadre du plan France relance et devrait être doublé pour atteindre les 10 milliards. Emmanuel Macron a néanmoins enjoint les industriels à agir de leur côté en soutien à cette ambition.
  • Pour ce faire, l’optimisation énergétique apparait comme l’une des pistes les plus prometteuses. C’est celle qu’explore actuellement le groupe ENGIE qui espère atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 et a développé le fonds en soutien ENGIE New Ventures soutenant les projets qui y sont liés.
  • Mais cette décarbonation peut aussi représenter une opportunité pour l’emploi industriel, notamment par l’attraction que représentent les questions écologiques chez les jeunes mais aussi via le nécessaire triptyque : innovation, investissement et formation pour le développement d’une industrie 4.0.

Près de 2,5 millions d’emplois industriels ont disparu au cours des cinquante dernières années. Le poids de l’industrie dans le PIB a presque été divisé par deux, passant de 22 à 11 %. Ce constat d’une désindustrialisation conséquente se double d’un impératif lié à la lutte contre le réchauffement climatique : diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’industrie représente en effet 20 % des GES en France, les 50 sites les plus émetteurs étant responsables à eux seuls de 11 % des GES. Parmi les secteurs les plus consommateurs en énergie et en ressources fossiles, figurent la métallurgie, la cimenterie, la chimie, les matériaux de construction… autrement dit, l’industrie lourde. De son côté, l’industrie légère, moins émettrice, doit également participer aux efforts de décarbonation dans l’agroalimentaire, le textile, l’automobile, l’électronique… 

La démarche initiée par les pouvoirs publics relève également d’une autre volonté, celle de garantir notre souveraineté industrielle, via un appui à une politique industrielle fondée sur la transition écologique. Elle implique une dynamique de transformation des méthodes et des procédés sur une trentaine d’années. Finalement, une industrie plus verte devrait peser d’un poids économique et stratégique bien plus important, et devenir un facteur d’attractivité aussi bien pour les investisseurs que pour des personnes en recherche d’emploi ou en reconversion. C’est l’objet de la loi industrie verte promulguée le 23 octobre 2023, visant à financer l’industrie verte, faciliter et accélérer les implantations industrielles et réhabiliter les friches, et « verdir » la commande publique.  
 

La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), moteur de la transition écologique  


Le plan France Relance avait financé 240 projets pour une réduction des émissions de l’industrie de 4,7 millions de tonnes de CO2 par an. La SNBC va plus loin afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Elle inclut de nombreuses actions articulées autour de trois axes majeurs : sobriété énergétique, efficacité énergétique, décarbonation des sources d’énergie. L’enjeu ? Diminuer de 35 % les émissions de GES de l’industrie entre 2015 et 2030, puis de 81 % en 2050 (vs 2015).   
 

Un soutien public massif  

En novembre 2022, des chefs d’entreprise des 50 sites industriels français les plus émetteurs de CO2 (Air Liquide Hydrogène, Holcim France, Vicat, ArcelorMittal, etc.) ont été conviés à l’Élysée par le président Emmanuel Macron. Il les a enjoints à accélérer la décarbonation de leur production, en rappelant les 5 milliards d’euros déjà prévus dans le cadre de France Relance et en y ajoutant une promesse de doubler cette somme d’ici dix-huit mois si ces industriels s’engagent dans la démarche. Avec un point de vigilance incontournable : la décarbonation doit préserver l’objectif de réindustrialisation, en particulier pour préserver les quelque 3,2 millions d’emplois concernés sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi trois objectifs doivent être traités de manière conjointe : climat, industrialisation et souveraineté. 

Déterminé à faire de la France le leader des industries vertes, Emmanuel Macron a enfin insisté pour que les grands industriels ne se tournent pas vers la délocalisation pour cause d’énergie décarbonée moins onéreuse ou de coups de pouce gouvernementaux plus incitatifs. Le 23 juin 2023, lors du Conseil national de l’industrie, ces industriels ont adressé leur feuille de route, conçues avec les experts de la Direction générale des entreprises, de la Direction générale énergie climat et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) à la Première ministre Elisabeth Borne. Elles ont été formalisées par la signature de contrats de transition écologique entre les industriels et l’État. 

Globalement, quatre grandes solutions émergent pour renforcer la décarbonation des activités industrielles : la capture et le stockage de carbone, l’hydrogène bas carbone, la biomasse et les combustibles solides de récupération (CSR) pour produire de la chaleur et enfin, l’électricité décarbonée. À titre d’exemple, le cimentier Vicat s’est associé à l’entreprise Materrup pour industrialiser et commercialiser un ciment d’argiles crues, réduisant de moitié les émissions de CO2. Autre exemple, le groupe Roquette (leader mondial des ingrédients d’origine végétale pour les marchés de la nutrition et la santé) installe une chaudière biomasse pour substituer une partie de la consommation de gaz naturel de son site de Lestrem.

Lire aussi : L’essor des protéines végétales, un défi pour l’industrie agroalimentaire 
 

La décarbonation en chiffres

2030 : objectif –45 % d’émissions de GES ;
2050 : objectif neutralité carbone ;
+50 Md€ d’investissements et coûts industriels pour atteindre ces objectifs ;
+30 TWh de besoin d’électricité bas-carbone pour remplacer les énergies fossiles, produire de l’hydrogène bas-carbone et stocker le carbone ;
+10 TWh en énergie biomasse et déchets en remplacement d’énergies fossiles.
 

L’optimisation énergétique, levier de la décarbonation 

Dès 2018, le groupe ENGIE a décidé de faire évoluer son business model (modèle économique) pour accompagner ses clients dans leur quête d’efficacité énergétique. Il a créé à cet effet ENGIE New Ventures, un fonds d’investissement d’ENGIE Recherche & Innovation en 2024. Doté de 180 millions d’euros, il a déjà soutenu 26 start-up innovantes axées sur la décarbonation, pour un montant de 140 millions d’euros, et a créé des collaborations entre cet écosystème externe et les ressources internes dédiées à la recherche. Avec une ambition affichée : devenir l’un des leaders mondiaux de la transition énergétique et climatique. 

Pour le directeur général de ENGIE New Ventures, il s’agit de consommer moins et mieux1 en ayant recours à des gaz verts, des énergies nouvelles, de l’hydrogène… Pour rendre les énergies renouvelables plus efficaces, selon Johann Boukhors, Directeur général d’ENGIE New Ventures, il faut imbriquer les solutions : « À nous de les coordonner, de créer un système de systèmes qui soit économiquement, techniquement et socialement viable dans la durée. »2 ENGIE a donc résolument misé sur l’open innovation pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. 
 

L’impact de la décarbonation de l’industrie sur l’emploi  

Pour les pouvoirs publics, pas question de conjuguer décarbonation et désindustrialisation, au risque de menacer les 30 000 emplois concernés en France sur les 50 sites les plus émetteurs de GES. Comme le souligne le rapport thématique coordonné par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et France Stratégie intitulé « Les incidences économiques de l’action pour le climat - Marché du travail », le secteur industriel a perdu en quarante ans près de la moitié de ses effectifs. Il représente actuellement un peu plus de 10 % des emplois sur le territoire. 
Les auteurs du rapport suggèrent de relocaliser des productions réalisées à l’étranger vers d’anciens sites industriels en France, comme c’est le cas de la production textile dans les Hauts-de-France. Ils proposent également de créer de nouvelles filières comme celle de la batterie, installée récemment dans la même région. La transition écologique pourrait par ailleurs influencer l’industrie automobile de manière paradoxale : d’un côté, près de 300 000 emplois seraient menacés de disparition à la suite de la réduction de l’utilisation et de la vente de véhicules (selon The Shift Project). D’un autre côté, on pourrait assister à un retour d’emplois délocalisés pour la production de petites voitures. 

Une étude de la Fabrique de l’industrie tire elle aussi la sonnette d’alarme : elle estime que près de 155 000 emplois industriels pourraient disparaître à cause de trois phénomènes corrélés : des prix élevés de l’énergie en Europe, l’instauration prochaine du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE et des aides très généreuses aux États-Unis dans le cadre de l’Inflation Reduction Act

Dans une étude parue en mai 2022, l'Opco 2i, opérateur de compétences interindustriel qui regroupe 32 branches et 60 000 entreprises industrielles, se montre plus optimiste. Il fait état de besoins importants dans la R&D afin de contribuer à décarboner l’industrie. Pour l’instant, les entreprises recherchent des talents pour compléter leurs équipes, sans pour autant créer de nouveaux métiers, sauf dans des domaines récents comme les batteries électriques ou l’hydrogène. Elles misent donc sur la formation continue pour franchir le cap de la transition écologique et redonner des couleurs à leur marque employeur. 
Car le sujet de la décarbonation dispose d’un réel pouvoir d’attraction comme le soutient Olivier Helterlin, PDG de PTC France, à l’occasion d’une tribune publiée sur le site d’Usine Digitale : « À l’heure où les plus jeunes et plus diplômés comptent également parmi les franges de la population les plus sensibles aux enjeux écologiques, les entreprises engagées dans la décarbonation de leur activité pourraient bien gagner en attractivité auprès des candidats ». Un véritable atout différenciateur, apte à séduire de jeunes ingénieurs en quête de sens au travail et très sensibles à l’impact social et écologique de leur métier.  

Doter la France et l’Europe d’une politique industrielle durable requiert donc d’allier innovation, investissement et formation. Face aux défis représentés par l’industrie 4.0 et l’intelligence artificielle, ces trois piliers sont indissociables pour que l’industrie réussisse sa transition écologique et retrouve toute sa place dans notre économie. Cette mutation en cours devrait s’accompagner de la création d’emplois, de l’apparition de nouveaux métiers et de multiples reconversions.   

Lire aussi : RSE : un atout qui fait la différence pour la marque employeur 

  1. interview de Johann Boukhors directeur général de Engie New Ventures 
  2. citation extraite d’un article paru dans Challenges


 

Plus d'actualités

Article

« L’attractivité des métiers du soin est une [...]

L’attractivité des métiers de la santé et du soin à domicile est un véritable enjeu de société, selon Yves Piot, Responsable du pôle Juridique d’Adédom, la fédération nationale qui défend et soutient le développement des activités des associations et des structures gestionnaires à but non lucratif œuvrant dans l’aide, le soin à domicile et les services à la personne. Rencontre.

Opinions

Jérôme Fourquet, directeur du département [...]

La question est volontairement provocante mais dit bien la transformation fondamentale en cours dans le monde de l’entreprise. Changement du rapport au travail, diffusion du télétravail, aspirations au sens et à l’utilité, priorité à l’individualisme et à l’épanouissement personnel, refus de la carrière linéaire, modification du rapport de force employeurs-employés, accélération technologique : l’entreprise est fragilisée dans son espace-temps (tout le monde ne travaille plus en même temps, dans le même lieu) et percutée de tous côtés dans sa forme traditionnelle.

Article

France Travail adopte son premier schéma de [...]

En adoptant son premier schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER), France Travail renforce son engagement pour des achats socialement et écologiquement responsables. Et réaffirme sa mobilisation en faveur d’une action publique durable.

Ailleurs sur le site

CHIFFRE-CLÉ

86,0 %

Des entreprises satisfaites concernant la pertinence des candidats présélectionnés par France Travail. Mesure de la qualité du service rendu aux entreprises sur le volet recrutement au niveau national.

L’état de l’emploi dans votre ville

Retrouvez les chiffres du marché du travail dans votre commune de plus de 5000 habitants.

Ex : 33000

Ensemble pour l'emploi

Retrouvez tous les chiffres permettant d'évaluer l'efficacité de notre action auprès des demandeurs d'emploi et des entreprises.