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Télétravail : où en est-on ?

Un mode de travail « de plus en plus prisé en France »*. Voilà comment était décrit le télétravail en 2019, une pratique professionnelle alors encore peu répandue puisque seuls 29 % des salariés du secteur privé s’y étaient essayés.

Publié le  28/12/2022

 

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Aujourd’hui, trois ans après le début de la pandémie, le télétravail ne s’apparente plus vraiment à une nouveauté. Et si un nombre conséquent d’entreprises et de salariés l’ont adopté, d’autres sont au contraire favorables à un retour « à la normale ». Bien qu’il soit désormais démocratisé, le télétravail a ceci de complexe qu’il plaît autant qu’il déplaît. Entre innovation, avantages multiples, mais aussi désavantages et inégalités…

Ce mode de travail comporte du bon et du moins bon qui nous pousse à l’appréhender de façon parfois ambivalente et évolutive. Christophe Nguyen, psychologue du travail et président et cofondateur d’Empreinte Humaine, un cabinet spécialisé dans la santé au travail, nous propose un décryptage des tenants et aboutissants de ce sujet de société. 

 

Quand travailler à distance est aussi attractif que complexe

Évolution des mentalités, flexibilité, qualité de vie améliorée : tous les bienfaits du télétravail

« Au début de la crise sanitaire, il y a eu une véritable romantisation du télétravail. Cette pratique était peu déployée en France et son avènement a créé un sentiment de liberté parmi les salariés », analyse Christophe Nguyen, pour qui la généralisation du télétravail a permis de remettre en cause une certaine culture du présentéisme, faisant évoluer les mentalités des entreprises dans le bon sens. Nous serions dès lors jugés sur les résultats de notre travail plutôt que sur notre temps passé au bureau.

Autre point positif souligné par l’expert : la montée en puissance de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Les temps de transport et les trajets domicile-bureau parfois à rallonge ont été gommés grâce au télétravail, laissant une place plus importante au temps pour soi et impulsant une grande flexibilité dans la façon d’organiser sa vie professionnelle. Une qualité de vie améliorée qui satisfait les télétravailleurs comme le démontre une récente étude du groupe d’assurance Allianz, selon laquelle la suppression des temps de transport serait plébiscitée par 58 % des femmes et 51 % des hommes. Quant à la flexibilité, elle remporterait 49 % des suffrages des salariés sondés. 

Cette dynamique vertueuse renforce aussi la productivité des collaborateurs : selon une étude réalisée par le cabinet Gartner quelques mois après le début de la pandémie, 55 % des salariés en télétravail affichaient un niveau d’efficacité élevé, contre 36 % des salariés en présentiel. « Les collaborateurs en télétravail sont moins sollicités par leurs collègues, leurs managers… Cela leur permet d’être plus efficaces », explique Christophe Nguyen avant d’ajouter que cela s’applique surtout aux tâches qui « nécessitent de s’isoler, de travailler seul ». Pour le reste, « c’est plus compliqué », souligne-t-il. 

Remettre le collectif au centre et prévenir les risques psychosociaux : des défis à relever

C’est là une des limites du travail à distance : les tâches qui requièrent de la créativité et une émulation entre les équipes sont souvent mises à mal. « Avec le temps, nous nous sommes aperçus que le télétravail n’est pas simplement une question d’exécution du travail en tant que tel, mais qu’il y a aussi tout un aspect relationnel et d’affecte qui entre en jeu ». Difficile en effet de créer à distance les conditions favorables au partage et à la spontanéité entre équipes. Pour Christophe Nguyen, cela est particulièrement vrai pour les managers qui, en télétravail, sont contraints de repenser leurs repères managériaux, ainsi que la manière dont ils créent du collectif et de la transversalité. 

Bien gérer l’humain devient donc un véritable défi, un état de fait aux conséquences multiples. « Il est par exemple plus difficile de détecter les signaux faibles en télétravail, cela entraîne un défaut de prévention quant à l’état de santé physique et mental des salariés et une augmentation de certains risques psychosociaux », alerte Christophe Nguyen. Au début de la pandémie, il y a d’abord eu une recrudescence des maux de dos et autres lombalgies puis, les experts ont constaté une explosion des cas de burn-out au fur et à mesure des mois. A titre d’exemple, une étude du cabinet Gallup indique qu’en 2020, 29 % des télétravailleurs nord-américains se sont fréquemment sentis en état de burn-out, contre 18 % en 2019. En 2021, 2 550 000 salariés français auraient vécu un burn-out « sévère », selon Empreinte Humaine, soit 2,7 fois plus qu’en 2020. « Cette difficulté à bien adresser tous les enjeux collectifs et humains conduit à la dégradation psychologique d’une partie des salariés ». 

En outre, le télétravail a apporté son lot de « blurring », c’est-à-dire de confusion des temps de vie. « Nombreux sont les télétravailleurs qui n’arrivent plus du tout à décrocher de leur travail. Les journées sont plus denses et il n’y a ni transitions ni frontières entre le domicile et le bureau ». Ainsi, pour certains, le télétravail brouille les contours de ce qui relève de la sphère professionnelle et de ce qui relève de la sphère privée. 


 

Un mode de travail que tout le monde ne peut (ou ne veut) pas adopter

Au-delà des sentiments équivoques que suscite le télétravail, il est un autre point structurant : le travail à distance ne s’applique pas à tous. Certains secteurs, certains corps de métier n’y ont pas accès, quand d’autres peuvent le pratiquer sans contraintes. C’est aussi un mode de travail que tout le monde ne souhaite pas adopter, ou du moins pas à 100 %, comme le rappelle Christophe Nguyen. 

Une capacité à télétravailler qui varie en fonction des secteurs… 

L’on constate des inégalités entre les différents secteurs d’activité dans l’accès au travail à distance : selon l’Insee, un salarié sur deux exerce une profession pour laquelle le télétravail n’est pas possible. Une tendance qui concerne notamment les métiers de l’industrie et a fortiori de l’industrie manufacturière, les métiers du soin et de la santé, la plupart des métiers du BTP, le monde de la culture, le secteur du sport, l’artisanat ou encore l’agriculture. À l’inverse, une étude de l’OCDE établit que les collaborateurs du secteur du numérique et des nouvelles technologies, de la communication, des services tertiaires, des services scientifiques et techniques ou encore du monde de la finance et de l’assurance sont ceux qui ont le plus facilement accès au télétravail. Par ailleurs, bien que le télétravail soit de plus en plus populaire au sein des TPE et PME, il reste d’abord pratiqué dans les grandes entreprises. La fracture est donc bien réelle entre ceux qui ont accès à ce mode de travail, et les « autres ». 

Cependant, pour Christophe Nguyen cette inégalité d’accès n’induit pas automatiquement une distorsion : « Il faut être vigilant et ne pas tirer de conclusions hâtives, car parmi les salariés qui ne pratiquent pas le télétravail, tous ne se sentent pas pour autant défavorisés. En effet, certains n’adhèrent tout simplement pas au télétravail, quels que soient leur secteur et leur situation. »

… Et des genres

Des inégalités parmi les télétravailleurs sont aussi notables. « On observe des inégalités flagrantes entre les salariés qui disposent d’excellentes conditions de télétravail et ceux qui vivent au sein de petits espaces ou avec des enfants en bas âge par exemple. » Mais ce n’est pas tout : le télétravail fait ressortir les inégalités femmes-hommes. D’ailleurs, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), 65 % des femmes disposent d’un environnement matériel adapté au télétravail contre 71 % des hommes, et 57 % des télétravailleuses sont en mesure de participer à au moins une réunion d’équipe par semaine contre 63 % des télétravailleurs. L’étude menée par Allianz indique, quant à elle, que le passage en télétravail s’est révélé être un double défi pour les femmes avec enfants, qui ont dû jongler encore plus entre responsabilités professionnelles et responsabilités familiales. 

La Gen Z, moins encline à travailler à distance qu’on ne l’imagine

Quant aux jeunes, et contrairement aux idées reçues, tous ne rêvent pas de télétravail. « Il y a tout un stéréotype autour de la génération Z et du télétravail alors qu’en réalité, cette pratique n’est pas toujours une partie de plaisir pour la jeune génération », insiste Christophe Nguyen. Il explique : « Il est en effet assez difficile pour eux d’apprendre leur métier, d’embrasser la culture d’entreprise, les codes du monde du travail et de leur organisation à distance. » Ce qui séduit avant tout les jeunes dans le monde d’après, c’est ce nouvel équilibre vie professionnelle-vie personnelle rendu possible par l’hybridation du travail. Ils sont favorables au télétravail, certes, – les candidats de la génération Z sont plus susceptibles de candidater à un emploi qui propose du télétravail que les autres générations, à hauteur de 17 % – mais « pas tout le temps et pas si cela leur est imposé », modère l’expert. 


 

Tendre vers un futur du travail hybride, et structuré

Qu’ils soient scientifiques, sociologues ou psychologues, les experts s’accordent à dire que « le télétravail est une bonne chose, une avancée, mais qu’il reste du chemin à parcourir pour adapter cette pratique au monde de l’entreprise, en clarifiant les droits et les devoirs des employeurs mais aussi ceux des salariés », note Christophe Nguyen. Comment évaluer la charge de travail à distance ? Comment mieux détecter les signaux faibles ? Comment créer une dynamique de partage et animer une culture d’entreprise ? Toutes ces interrogations aussi légitimes soient-elles doivent être prises à bras-le-corps si l’on souhaite poser le cadre d’un télétravail durable, qui fonctionne, et prévenir les risques psychosociaux qui en découlent. « Ce n’est pas parce que de nouvelles opportunités de travail s’offrent à nous que nous devons foncer tête baissée. Lorsque les e-mails ont débarqué dans le monde de l’entreprise il y a plusieurs années, tout un travail autour du droit à la déconnexion a été réalisé : c’est pareil avec le télétravail, il faut mettre des limites pour en tirer toute l’efficacité. » 

Pour l’OCDE, l’installation dans le temps du télétravail doit être accompagnée de politiques publiques adaptées, capables de garantir aux salariés le choix de télétravailler ou non – pour ceux qui le peuvent – d’encourager les entreprises à fournir un environnement de travail approprié au travail à distance, et de favoriser la mise en place de nouvelles pratiques managériales. Une approche partagée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime que les entreprises qui proposent du télétravail devraient être en mesure d’instaurer des programmes, des formations, des outils RH, une organisation du travail ou encore des services de santé spécifiques à ce mode de travail.

Du côté des entreprises, justement, la tendance est à la structuration d’un environnement de travail pas uniquement centré sur le télétravail, encourageant plutôt l’adoption de modes de travail hybrides. Selon une étude réalisée par le groupe de protection sociale Malakoff Humanis, 84 % des dirigeants d’entreprise ont d’ailleurs l’intention de déployer cette pratique et 64 % d’entre eux estiment que le travail hybride est source d’engagement et de rétention des talents. Tel un compromis entre le tout-à-distance et le présentiel, l’hybridation du travail sera-t-elle demain la nouvelle norme ?


* Source : https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/management-le-teletravail-se-generalise


 

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